Voici la seconde partie de ma conférence à Clervaux, il y a deux ans. Je l'ai légèrement remaniée, en fonction de faits nouveaux survenus depuis lors
Actualité
œcuménique
Dans
cette troisième partie de mon exposé, je voudrais évoquer
l'actualité œcuménique. Où en est- on pour le moment ? Après une
période d'euphorie et d'espoirs immenses, il semble un peu qu'on
traverse le désert. Après le printemps, le gel semble être revenu.
Ne dramatisons pas et considérons quand même les résultats obtenus
et le chemin parcouru. D'autre part, il ne faut pas séparer la crise
actuelle du travail pour l'unité de la crise spirituelle globale de
nos sociétés occidentales. Les églises sont vides, les assemblées
de plus en plus vieillissantes. L’œcuménisme n'est donc plus une
priorité semble-t-il. L'évangélisation serait dans ce contexte une
tâche plus urgente. Quand il lança le mouvement liturgique, quand
il s'embarqua dans l'aventure unioniste, dom Lambert Beauduin vivait dans une Belgique,
massivement catholique pratiquante, avec des références communes
solides. Nous, nous vivons dans le contexte de la sécularisation,
voire de l'apostasie généralisée. Il n'en reste pas moins que dans
le contexte de la nouvelle évangélisation, le travail pour l'unité
garde toute sa valeur. Résonne ainsi la parole du Christ: Qu'ils
soient un afin que le monde croie.
Commençons
par l'orthodoxie.
Le pape François a rencontré plusieurs fois le
patriarche Bartholomée de Constantinople; la plus célèbre de ces rencontres est celle qui a eu lieu à Jérusalem, le 25 mai 2014. L’Église
russe avait malheureusement peu auparavant apporté une note discordante dans le
concert. Depuis la rencontre entre Paul VI et Athénagoras, le
5 janvier 1964, jusqu’à nos jours, le dialogue œcuménique
entre Rome et les Églises d'Orient a parcouru un chemin notable. Et
il n’a pas eu peur de mettre en discussion même la question
brûlante de la primauté du pape. Le document de base de la
discussion à propos du rôle universel de l’évêque de Rome a été
mis au point à Ravenne, en 2007, par une équipe conjointe d’évêques
et de théologiens appelée "commission mixte internationale
pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et
l’Église orthodoxe". Ce document de Ravenne n'a jamais été
approuvé par l’Église russe. L’Église orthodoxe russe
était absente de la rencontre de Ravenne, en raison d’un désaccord
qu’elle avait avec le patriarcat œcuménique de Constantinople.
Une absence qui pesait lourd, parce que l’Église russe représente
de loin la partie la plus consistante de tout le monde orthodoxe. Ce
désaccord intra-orthodoxe fut par la suite aplani et l’Église
russe elle-même accepta de s’unir au dialogue, sur la base du
document de Ravenne et d’un document de travail ultérieur portant
sur le rôle de la papauté au cours du premier millénaire, qui
avait été rédigé en Crète par une sous- commission en 2008. Mais
les objections soulevées par l’Église russe lors de deux
rencontres, l’une à Chypre en 2009 et l’autre à Vienne en 2010,
furent assez nombreuses et assez graves pour freiner tout
rapprochement entre les parties en présence. La délégation russe
demanda et obtint que le document de travail rédigé en Crète soit
déclassé et réécrit de fond en comble par une nouvelle
sous-commission. Et elle exprima également des critiques
substantielles à propos du document de Ravenne. Ainsi donc de Moscou
vient un « niet » complet à l'idée de primauté romaine, même
exercée comme elle le fut dans le premier millénaire, laissant à
l'orient une large autonomie canonique. On ne voit plus dès lors,
sans une évolution de la part des Russes, comment on pourra avancer
dans ce domaine, puisque la primauté du pape est essentielle pour
les catholiques, même si, comme Jean-Paul II l'avait dit, nous
sommes ouverts à une discussion sur le mode d'exercice de cette
primauté pétrinienne. La raideur de l’Église russe à
propos de la primauté papale est d’autant plus impressionnante
qu’elle a été accompagnée, pendant le pontificat de Benoît XVI,
d’une unité d’action croissante entre Moscou et Rome en ce qui
concerne la défense de la vie naissante, de la famille, de la
liberté religieuse. C’est en raison de cette perception favorable
que, lorsque le cardinal Kurt Koch, président du conseil pontifical
pour l’unité des chrétiens, s’est rendu, au milieu du mois de
décembre 2013, en visite officielle à Moscou et à
Saint-Pétersbourg pour y rencontrer le patriarche Kirill et le
métropolite Hilarion, certains observateurs ont pronostiqué que de
rapides progrès allaient être faits dans le dialogue entre Rome et
Moscou, grâce au nouveau pape François. Mais tel n’a pas été le cas. Le
cardinal Koch a certes constaté que de "grands espoirs"
étaient placés sur le pape François. Mais tout ce qu’il a pu
récolter, c’est la réaffirmation d’une volonté d’engagement
commun des deux Églises "en ce qui concerne la défense de la
famille et la protection de la vie". Une rencontre du pape et du
patriarche de Moscou, qui serait la première de l’Histoire, semblait alors encore loin de se réaliser. D’autre part, en ce qui concerne la
primauté du pape, le patriarcat de Moscou a fait en sorte de geler
toute illusion concernant un assouplissement de son opposition.
Quelques jours après le retour de Koch au Vatican et en pleines
fêtes de Noël pour l’Église catholique, le patriarcat de Moscou
a rendu public ce document dans lequel il réaffirme son désaccord
avec le document de Ravenne et confirme à nouveau son refus total de
reconnaître à l’évêque de Rome quelque pouvoir que ce soit –
qui ne soit pas simplement "d’honneur" – sur l’Église
universelle. C'est donc une mauvaise nouvelle qui nous est venue à cette époque de Russie. Notons cependant un point positif.
L’Église russe reste entièrement ouverte à une collaboration
avec Rome pour la défense de la vie et du mariage chrétien, idéaux
menacés, voire ridiculisés, dans le monde actuel.
Et puis cette année, le miracle s'est produit. Et ce fut le 12 février 2016, à la Havane, la rencontre historique entre François, pape de Rome, et Kirill, patriarche de Moscou et de toute la Russie. "Enfin nous nous voyons" s'est écrié le Saint Père. Les visages des deux hiérarques étaient radieux. La déclaration signée à l'issue de cette rencontre témoigne entre autres des préoccupations des deux partenaires pour la situation de persécution des chrétiens au Moyen-Orient. Elle affirme que l'Europe doit retrouver ses racines chrétiennes. Elle regrette que le modèle de la famille soit mis à mal dans la société actuelle et souligne l'identité de vue entre catholiques et orthodoxes sur les questions éthiques.
Venons-en
à nos rapports avec l'anglicanisme.
De grands espoirs étaient nés,
après le concile. Le temps n'était-il pas venu de voir se réaliser
le rêve de dom Lambert : une Église anglicane unie et non absorbée, l'unité
de foi et de vie sacramentelle dans une légitime diversité
liturgique, canonique, théologique et spirituelle ? Le cardinal
Willebrandts, de passage à Chevetogne au début des années 70, ne
cachait pas sa certitude : notre génération verrait probablement ce
miracle de la parfaite réconciliation entre Rome et Cantorbéry. Le
problème théologique de la non validité des ordres anglicans
trouverait une solution nouvelle et ingénieuse. L'anglicanisme
deviendrait une sorte de patriarcat uni à Rome et autonome, et les
anglicans seraient un pendant occidental des orientaux catholiques.
Et c'est précisément sur la question des ordres anglicans qu'il
fallut déchanter, au point d'en arriver à ce que la Congrégation
pour la doctrine de la foi déclare il y a quelques années que la
doctrine énoncée par Léon XIII sur les ordinations anglicanes
était une doctrine définitive du magistère catholique. En
s'engageant dans l'ordination de femmes à la prêtrise, puis aux
États-Unis dans celles à l'épiscopat, l'anglicanisme a rompu avec
une tradition bimillénaire de l’Église indivise. Qu'aurait dit un
Newman sur cette nouvelle rupture ? L'anglicanisme contemporain se
distancie notablement du catholicisme et de l'orthodoxie. En outre
ses positions on ne peut floues sur les questions éthiques, surtout
aux États-Unis et au Canada, sur la question du mariage unisexuel,
sont de notre point de vue très problématiques. Il faudrait
ici parler de ce qu'on appelle la "comprehensiveness" de l'anglicanisme.
Ce dernier a deux tendances fondamentales à l'intérieur d'une même
communion ecclésiastique : le High Church et la Low Church. La
première tendance est catholicisante : liturgie très
traditionnelle, certaines paroisses utilisent même le missel romain,
voire le missel tridentin ; retour aux pères de l’Église et aux
auteurs anglais du moyen-âge ; vénération pour tout ce qui
rappelle le passé catholique de l'Angleterre etc. La Low Church est
protestantisante : liturgies dépouillées, attrait vers le courant
evangelical, prédications simples et plutôt fondamentalistes etc.
On peut ajouter à cela l'existence de deux courants idéologiques
face à la société contemporaine : les conservateurs, d'une part,
et les libéraux d'autre part. Cela a toujours existé dans
l'anglicanisme, mais cela s'est exacerbé, à la suite des évolutions
récentes, si bien qu'il y a une véritable crise interne, qui est
loin d'être résolue, et un malaise chez les anglicans plus
traditionnels, qui sont ainsi tentés de passer au catholicisme.
L’Église catholique a de fait accueilli dans sa communion des
paroisses et des communautés religieuses, en créant l'ordinariat
pour les anglicans. Notons que dans ce cas, l’Église catholique
demande à ceux qui font ce passage de professer intégralement la
foi catholique, et qu'il ne suffit pas d'être un anglican mécontent
pour devenir catholique. La complexité de l'anglicanisme est devenue
fort grande, car les divergences internes ne sont pas coupées au
couteau. Il n'y a pas deux points de vue mais une multitude
d'opinions différentes au sein de l'anglicanisme. Un fidèle pourra
être libéral par ci et conservateur par là. Il pourra être
amateur d'une liturgie traditionnelle et partisan de l’ordination
des femmes. Il pourra être ouvert à l'ordination des femmes à
l'épiscopat et résolument hostile au mariage unisexuel. D'ailleurs
sur les questions éthiques, les evangelicals seront proches des
conceptions catholiques (ainsi le mouvement pro Life aux USA voient
côte à côte des évangéliques et des catholiques de droite). Sur
l'ecclésiologie, ce sont par contre les tenants de la High Church
qui sont proches de nous. A ce sujet, il faut faire remarquer
que les différences entre chrétiens et le manque d'unité
n'existent pas tant entre les confessions qu'au sein même des
confessions. Les divergences se cristallisent sur deux points : la
place de la femme et les questions éthiques. Ainsi un catholique
plutôt traditionaliste se sentira plus proche d'un orthodoxe, voire
d'un évangélique fondamentaliste, qui prêche le salut dans le seul
Jésus-Christ et qui lutte contre les déviances actuelles en matière
éthique, que de son voisin catholique, nostalgique de mai 68. Nous
sommes donc en pleine confusion, et tant qu'on n'y verra pas plus
clair, le chemin œcuménique sera compliqué.
Parlons
pour finir du protestantisme.
L'un des événements les plus
marquants de ces dernières années fut l'accord sur la justification
avec les luthériens en 1999, signé à Augsbourg. L'essentiel de cet
accord peut se formuler ainsi : les condamnations mutuelles portées
au XVIe siècle ne sont plus valides de nos jours et ne concernent
pas les catholiques et les luthériens de notre époque. La théologie
a de part et d'autre connu un affinement. Ces évolutions
théologiques ont conduit à un climat plus serein, le temps des
polémiques sur la justification est révolu. Nous pouvons nous
retrouver et tenir un langage proche sur le sujet. Malheureusement
d'autres problèmes ont surgi et il existe encore des désaccords
nombreux, en ecclésiologie ou en sacramentaire par exemple, entre
les deux confessions. Mais cet accord sur la justification aplanit la
route vers la réconciliation. Cet accord provoqua une grande joie
chez les oecuménistes et fut salué comme une grande victoire et la
preuve qu'un dialogue théologique patient porte des fruits et amène
des résultats positifs qui construisent l'avenir. Dans les
temps qui ont suivi, une certaine prudence dut s'afficher. La réponse
de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi fut à la foi
enthousiaste et nuancée. Le consensus n'était pas si entier que
cela, des difficultés subsistaient. La réponse énumère plusieurs
exemples de questions non résolues. En voici un : « pour les
catholiques, la formule "à la fois juste et pécheur",
telle qu'elle est expliquée au début du n° 29 ("Il est
entièrement juste car Dieu lui pardonne son péché par la parole et
le sacrement... Face à lui-même cependant il reconnaît… qu'il
demeure aussi totalement pécheur, que le péché habite encore en
lui..."), n'est pas acceptable. En effet, cette affirmation ne
semble pas compatible avec la rénovation et la sanctification de
l'homme intérieur dont parle le Concile de Trente. » Mais
beaucoup de réactions luthériennes ne furent pas favorables. Luther
aurait été trahi. Il faut savoir que le luthéranisme en Allemagne
ou dans les pays du nord passe pour le moment par une sorte de
raidissement identitaire et que ce climat psychologique ne favorise
pas une attitude plus ouverte envers le catholicisme. Être
luthérien, cela veut dire d'abord ne pas être catholique-romain. On
craint notamment que le cinquième centenaire de la réformation, en
2017, ne se transforme en une affirmation identitaire du luthéranisme
contre le catholicisme. Pour le reste, les Églises protestantes
historiques semblent s'éloigner de nous de la même manière que
l'anglicanisme, en alliant un conservatisme confessionnel de façade
avec un flou artistique sur les questions éthiques. A ce sujet on
note à nouveau que le travail œcuménique se fait dans un contexte
nouveau de libéralisme théologique et moral, que n'ont pas connu
nos devanciers, en un temps où les choses étaient plus simples et
plus claires. Une autre chose importante à dire sur
l’œcuménisme avec les protestants est l'apparition d'un facteur
tout nouveau et qui était imprévisible et qui change totalement la
donne. Je veux parler de la croissance exponentielle, une véritable
bombe nucléaire, des communautés évangéliques et pentecôtistes,
toutes marquées à la fois par la ferveur charismatique et le
fondamentalisme biblique. Alors que les Églises protestantes
historiques sont en crise, en diminution peut-être, ou à la dérive,
les nouvelles communautés deviennent la partie majoritaire et la
plus vivante de l'univers protestant. Il y a deux choses à
dire. Non seulement ils sont intransigeants sur le plan moral dans
leur doctrine, mais aussi dans leur vie. Ce que beaucoup de
catholiques en occident ne font plus, à savoir suivre les directives
du magistère en matière éthique, eux ils le font. Ils sont par
exemple viscéralement hostiles à l'avortement ou à
l'homosexualité. Je prends l'exemple de la Roumanie que je connais
bien. La communauté religieuse qui connaît la croissance la plus
forte est celle des baptistes. Pourquoi ? Parce qu'ils ont tous des
familles nombreuses, alors qu'orthodoxes et catholiques n'en ont
plus. Un prêtre orthodoxe roumain de mes amis, le P. Grajdean, de
Sibiu, ancien chef d'orchestre devenu prêtre, eut maille à partie
avec la securitate, au temps où le régime surveillait de près les
communautés religieuses importées d'Amérique. On le suspectait en
effet d'être baptiste. Il avait cinq enfants. Mais il y a
aussi le côté négatif. Pour beaucoup de ces chrétiens
évangéliques, l’œcuménisme est une activité satanique. Tout
effort de rapprochement est à proscrire, seule compte la mission, du
reste l’Église est invisible et elle unit dans le Christ tous les
vrais croyants. Chercher une unité visible est une perte de temps,
une illusion, une œuvre du diable. En outre chez certains de ces
chrétiens, en particulier pentecôtistes, il y a une haine viscérale
du catholicisme, dont ils sont souvent issus. Haine du pape, haine du
culte marial : on brûle en public des portraits du saint Père, on
déboulonne des statues de la Madone. De notre point de vue, il y a
là quelque trait d'influence satanique. Et cependant il y a
des débuts de dialogue qui ont commencé avec ces nouvelles Églises.
Certains finissent par faire montre d'une certaine ouverture.
J'en
resterai là. Malgré le contexte très différent de celui qu'on a
pu connaître au temps de la fondation d'Amay-Chevetogne, notre
communauté poursuit son travail pour l'unité. Nous avons progressé
si on voit les choses dans une perspective longue. Mais la situation
actuelle est bien complexe, comme du reste le monde actuel. De
nouveaux défis sont lancés. Nous ne savons ce que l'avenir nous
réserve, mais avec le pape Jean Paul II, dans son encyclique Ut unum
sint, nous pouvons continuer sachant " que l'engagement pour
l'unité des chrétiens est irréversible de la part de L'Eglise
catholique"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire