jeudi 28 juillet 2016

Un voyage œcuménique en Roumanie en 2003

Eglise de bois typique en Roumanie
Un voyage en Roumanie

Samedi 19 juillet 2003, fin de matinée, aéroport Charles-De-Gaulle : cinq gais lurons font connaissance et tout de suite entre eux se crée une amitié qui ne cessera de s’approfondir tout au long du voyage. Le groupe se partage entre trois Français et deux Belges. Présentons-les pour commencer. Le chef de groupe est le Général Hubert de Quercize (5 enfants, 16 petits enfants!, répétera-t-il moult fois à l’envi), officier général de l’armée française, qui, il y a plusieurs années, a quitté le service plus tôt que prévu, afin de vivre pour Dieu et pour le monde, au sein de l’association catholique internationale Fondacio. Il y assume présentement le travail de responsable de la communication (www.fondacio.org). Ensuite, vient le Père Christian Forster, prêtre catholique, secrétaire de la Commission épiscopale française pour l’œcuménisme. Son homologue protestant, le pasteur Gilles Daudé, complète le trio français. La Belgique est représentée par M. Emmanuel Van der Straten Waillet, avocat, membre permanent de Fondacio Belgique et d’Unitas, et par le Père Simon, l’humble narrateur de ce récit, du Monastère de Chevetogne.

Il faut ici dire un mot de Fondacio, chrétiens pour le monde. Il s’agit d’une association de laïcs catholiques, jouissant d’un statut canonique, et présente dans plusieurs pays. Les membres ont comme spiritualité fondamentale de vivre la parole de saint Jean, Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, et de concrétiser une des intuitions du concile, selon laquelle le rôle des laïcs est de pénétrer les réalités temporelles des valeurs évangéliques. Dans leurs activités propres, il y a trois domaines privilégiés : les pauvres, les jeunes et l’œcuménisme. Dans chaque pays, un évêque (en Belgique, Mgr Vancottem) est chargé de les suivre de plus près.
Un pas œcuménique majeur a été franchi, il y a peu, par la création en Roumanie d’une section orthodoxe de ce mouvement. Dans ce pays, il a pris pour dénomination celle d’Association orthodoxe pour un monde nouveau. Celle-ci rassemble pour le moment une quarantaine de jeunes universitaires de Sibiu, des jeunes filles principalement. Le métropolite Antoine Plamadeala, de Sibiu et de toute la Transylvanie, lui a donné toute son approbation et a désigné comme assistant ecclésiastique et guide spirituel de l’association le Père Vasile Grajdian, secrétaire scientifique de l’Institut de théologie orthodoxe de Sibiu. Ces jeunes se retrouvent tous les 15 jours, pendant l’année académique, pour une soirée d’enseignement spirituel, dispensé par le Père Grajdian. Comme nous aurons l’occasion de rencontrer souvent ce dernier tout au long de ce voyage, il n’est pas inutile de le présenter tout de suite. Après avoir vécu son enfance à Bucarest, il a d’abord pris une orientation musicale et est devenu excellent violoniste. Il parle couramment le français et l’allemand. Marié et père de famille nombreuse, il était de ce fait suspecté par la Securitate d’être néo-protestant ! On sait en effet que c’est là une des caractéristiques les plus visibles en Roumanie des Baptistes ou des Pentecôtistes que d’avoir beaucoup d’enfants. Ordonné prêtre orthodoxe à un âge plus tardif que de coutume, il a étudié notamment à Vienne. C’est un homme d’un contact très agréable, d’une grande culture, d’un très bon jugement sur la situation de son pays et de l’Eglise orthodoxe roumaine, et ce qui ne gâte rien un prêtre ouvert à la modernité et à l’œcuménisme, et en même temps bien enraciné dans la tradition liturgique et spirituelle de son Eglise. Il a publié une étude sur le typikon et sur le chant ecclésiastique roumains. Il habite à deux pas de l’Institut, dans un appartement au charme désuet, au deuxième étage d’une maison donnant sur une cour intérieure.
Sibiu, l'église catholique, sur la grand place

Revenons aux jeunes de l’association. Ils se sont sentis appelés à faire quelque chose pour les jeunes en difficulté, en l’occurrence pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir une famille normale ou pas de famille du tout. Comme l’association est majoritairement composée de jeunes filles, ils se sont orientés vers le Centre de placement d’Orlat, où vivent des orphelines, des filles abandonnées ou placées par l’office de protection de la jeunesse. Ces filles fragilisées sont une centaine, et elles ont entre 7 et 18 ans. L’association fait à Orlat de l’animation spirituelle et culturelle. Elle y applique un programme éducatif qui permet aux jeunes filles de recevoir de nouvelles connaissances (concernant la santé, le comportement des personnes, les règles de vie, la sexualité, la vie spirituelle), et tente ainsi de leur fournir ce que l’école en tant que telle ne peut leur donner, c'est-à-dire ce que tout jeune est censé recevoir au sein d’une famille. A l’occasion de ce programme, on sélectionne quelques rares filles, pour leur aptitude à vivre en foyer. Il s’agit alors du deuxième programme, qui a pour nom la Casa tîneri pentru tîneri, la maison des jeunes pour les jeunes. Pour le moment un seul foyer existe, avec 6 filles de 15 à 18 ans. Il se trouve à Sibiu et leur propose une vie en maison d’accueil à caractère familial, pour les aider à commencer le chemin de l’autonomie et de l’indépendance. Trois membres de l’association accompagnent ces 6 filles, pendant toute la durée de leurs études jusqu’à ce qu’elles aient trouvé un travail et un logement. Le troisième programme consistera à aider celles qui auront atteint cette autonomie, tout au début de leur vie professionnelle. Cette aide durera une année et concernera aussi des jeunes filles qui auront été au centre d’Orlat, sans être néanmoins passées par l’un des foyers gérés par l’association. Une sélection rigoureuse sera faite là aussi. Admirons à la fois le dévouement des jeunes de l’association (par exemple, chacune des trois volontaires pour la Casa doit rester en permanence 24 heures avec les jeunes de la Casa), mais aussi leur sagesse (on se limite et on sélectionne avec rigueur).
La seconde activité de l’association est l’organisation d’un forum œcuménique et international pour jeunes au monastère de Sâmbata de Sus, pendant les vacances, un véritable camp d’évangélisation sur un thème spirituel d’actualité. Cette année, le thème sera Tinerete si Speranta, Jeunesse et Espérance. Ainsi l’association de Sibiu rejoint bien les trois priorités de Fondacio : les pauvres, les jeunes et l’œcuménisme.

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L’avion venant de Paris se pose sur le sol roumain dans l’après-midi de ce samedi 19 juillet et nous découvrons l’aéroport international de Bucarest, complètement rénové et tellement plus agréable que celui qu’on a pu connaître naguère. Le contrôle des passeports nous met en contact avec des policiers moins farouches que dans le passé, nous faisons la connaissance au bureau de change de la valeur du leu, la monnaie roumaine (36 000 lei pour un euro), nous voici devenus millionnaires, et enfin à la sortie, nous tombons sur une accorte jeune fille, Ioana Galea, qui nous attend avec un minibus pour nous emmener à Sibiu. Ioana est l’une des volontaires du programme éducatif de l’association. Après des études de lettres à Sibiu, elle a fait l’Institut Foi et engagement à la Catho d’Angers, un institut de formation pour laïcs qui veulent servir le monde dans un esprit évangélique, dirigé par Fondacio. Elle a ensuite été, en 2001-2002, responsable d’un foyer pour orphelines, à Santiago, au Chili. Elle a en outre fait des stages dans des institutions pour malades psychiques. Une jeune fille donc, mais comme tant d’autres volontaires que nous allons rencontrer, qui est décidée à faire quelque chose de beau dans sa vie, avec une foi, une discrétion, une gentillesse et une persévérance qui impressionnent.
mititei, plat typique roumain
Dans la chaleur étouffante de Bucarest, le minibus prend la route de Ploiesti, nous voyons quelques puits de pétrole dans le lointain, une raffinerie, et nous faisons une première halte pour boire… une bière bien fraîche, à la terrasse d’un motel, où se prépare ce soir un repas de noces. Nous repartons et abordons les montagnes, en direction de Brasov. Nouvelle halte pour manger cette fois, dans un routier. Là aussi, une noce se prépare, les premiers invités sont en train d’arriver. Nous restons dehors pour manger des mititei, ces rouleaux de viande hachée typiques de la Roumanie. L’eau pétillante, la boisson nationale roumaine, commence à évincer la bière, tant notre soif se fait sentir. Nous partageons avec Ioana nos premières impressions sur la Roumanie, elle est manifestement heureuse de nous accueillir dans son pays, elle qui connaît bien la France. Peut-être souffre-t-elle en silence de ce que nos réactions manifestent trop encore un certain esprit hexagonal, ou de ce que nous parlons tellement en oubliant de regarder le paysage et la beauté des villages ; d’autant plus que nous passons par des coins vraiment superbes,
Sinaia, le château Peles
avec la traversée de la célèbre station de montagne, Sinaia, ancien lieu de villégiature de la famille royale et de tous les hauts personnages de tous les régimes politiques qui se sont succédés en Roumanie. Les hôtels sont d’un grand chic, les rues pleines de monde, c’est vraiment les vacances, du moins pour certains privilégiés.
La nuit tombe, nous traversons Fagaras et redescendons vers le plateau intérieur. Cette fois, quelques-uns somnolent de fatigue. Décidément, ici les voyages par route sont longs, les dépassements toujours dangereux, les sujets de conversation épuisés. Enfin, une dernière ligne droite sur une route passée à quatre bandes et Ioana s’écrie : Voilà Sibiu ! Nous respirons d’aise et nous entrons dans une ville de province, qui a l’air de bien profiter des vacances et de la fraîcheur du soir. Face à un grand hôtel, nous bifurquons à droite. Tout près, un parc abrite une animation musicale nocturne (pourrons-nous dormir en paix ?). Heureusement, nous passons encore quelques rues et apparaît alors tout illuminée la cathédrale métropolitaine, en face de laquelle se trouve l’Institut de théologie, le lieu où nous allons être hébergés les premiers jours.
Ce sont les vacances, donc des chambres sont libres, une par personne, ce que nous ne regrettons nullement. Le Père Vasile nous attend et, après quelques minutes passées à faire connaissance, nous gagnons fourbus et sans tarder nos lits respectifs.

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Le matin, après une nuit tranquille, seulement troublée par les cris de deux fêtards nocturnes, qui passaient par la cour de l’Institut (tenez-vous bien, il y avait un repas de noces dans un bâtiment annexe !) et vite calmés par l’indignation du Père Forster, qui a fait pour la cause une apparition à sa fenêtre, nous nous levons frais et dispos. L’Institut de théologie offre une jolie cour intérieure, avec au centre le buste du métropolite Andrei Saguna, et aussi des arbres et des bancs, pour prendre le frais. En fait, l’Institut est comme une grande famille. Il semble inconcevable à la mentalité roumaine, que si les étudiants peuvent entrer dans les bâtiment ou la cour, il ne soit pas possible par conséquent que les parents, grands-parents, cousins, cousines etc. ne puissent faire de même. Nous aurons l’occasion de le constater à plusieurs reprises, sans parler de tous les anciens qui aiment y revenir.
Dans la cour, nous attend une autre volontaire, tout aussi avenante, de l’association, Alexandra Dragoi. Alexandra est assistante sociale (études à Sibiu). Elle aussi a étudié à Angers, où elle a en outre fait un stage dans un foyer de resocialisation pour jeunes, le Foyer Tournemine. Enfin, elle a complété sa formation dans la section psychiatrique pour adolescents de Sibiu. Elle a une sœur, Oana, que nous verrons plus tard et qui est médecin. Les deux sœurs Dragoi ont pour père un prêtre orthodoxe, le Père Ioan Dragoi, aumônier de l’hôpital départemental de Sibiu, et conseiller spirituel de la Casa.
Alexandra nous emmène pour le petit déjeuner dans une rue voisine. Mais quel petit ( ?) déjeuner ! Un déjeuner roumain, avec omelettes, charcuterie, fromage et même un verre d’alcool, cognac ou tuica, que nous refusons, à cause de la liturgie qui s’approche. C’en est trop pour nos amis français, et Alexandra nous promet pour les autres jours un petit déjeuner à la française. On trouvera bien un endroit disposé à nous le servir.
Ensuite, nous partons pour la liturgie à la cathédrale, célébrée par le Recteur de l’Institut, le Père Dumitru Abrudan, le chœur étant dirigé par le Père Vasile Grajdian. Les concélébrants sont des professeurs. L’assistance est nombreuse et la piété des fidèles, notamment le geste de toucher les ornements des prêtres au moment des entrées, voire de s’enfouir la tête sous l’épitrachile, surprend les membres du groupe qui viennent pour la première fois en Roumanie. Après la célébration, on nous introduit dans le sanctuaire pour nous donner l’antidoron, et nous montrer certaines choses comme le tabernacle ou l’antimension. Nous sommes surpris par la chaleur de l’accueil. Les premiers contacts sont prometteurs.
A la sortie du sanctuaire, nous retrouvons cette fois Ioana, qui est censée nous conduire, dans le cadre d’une promenade dominicale, dans un quartier périphérique, chez les Soaita, les parents de Cosmin Soaita, étudiant en économie à Paris I et président de l’association. Nous traversons quelques beaux quartiers résidentiels, nous passons devant ce qui fut en son temps la villa de l’un des fils Ceausescu, nous entrons dans une église, où s’achève la célébration d’un mariage. Nous nous faufilons à travers les derniers sortants et nous commençons à admirer les fresques, lorsque soudain, un second couple entre dans l’église.
mariage orthodoxe en Roumanie
C’est une bonne occasion d’assister à un mariage orthodoxe. Nous décidons donc de rester et nous nous mettons dans les stalles, près du chantre, un sympathique vieillard, chantant à plein poumon. Ensuite, nous sortons de l’église, pour trouver dans la cour un troisième couple (ou un quatrième ou cinquième ?) de fiancés, attendant leur tour. Je ne peux m’empêcher de faire la réflexion qu’un pays où l’on se marie tellement ne doit pas aller si mal que ça.
A ce sujet, il faut dire que l’atmosphère générale que l’on ressent cette année en Roumanie respire plutôt la confiance et l’optimisme. On note comme une volonté de rompre avec un passé de grisaille et de profiter de l’existence. Cela se remarque par exemple dans certaines tenues vestimentaires féminines. Faut-il parler d’une libération des mœurs ? Peut-être, avec cette nuance qu’elle est plus un rejet du puritanisme socialiste, que de la tradition chrétienne. Pour avoir une appréciation objective des phénomènes de société qui agitent la Roumanie d’aujourd’hui et dont pas mal de journaux parlent, ne pourrait-on pas faire un rapprochement avec ce que nous avons connu dans nos pays à la libération en 1944: une liberté plus grande dans tous les domaines, mais aussi l’émergence d’un laïcat chrétien qui veut s’engager socialement et politiquement ? Libération, oui, mais aussi de tout un potentiel humain et spirituel, qui promet de beaux fruits, si cela ne dévie pas. La Roumanie pourrait donner alors à l’Europe le témoignage de chrétiens et de chrétiennes, qui sans rien renier de leur foi, osent faire quelque chose pour la société en laquelle ils vivent. Il y a moins de passivité, en particulier chez les filles ; au lieu d’attendre que quelque chose se passe ou advienne de l’extérieur, on se lance dans l’aventure de la reconstruction de la société et surtout de l’être humain.
Nous arrivons vers deux heures chez les Soaita. Madame est professeur de français dans un lycée, elle a voyagé en France et son fils Cosmin vient de terminer un DEA en économie à Paris. Il va poursuivre, avec des allées et venues entre Paris et Sibiu, un doctorat à la Sorbonne. Il est donc président de l’Association orthodoxe pour un monde nouveau et nous sommes heureux de le retrouver au sein de sa famille. Après un repas pantagruélique et bien arrosé, nous prenons deux voitures pour aller visiter le musée du village roumain à la sortie de Sibiu, le deuxième plus grand musée de ce type en Europe, le plus grand musée de la vie rurale se trouvant en Slovaquie. C’est l’occasion pour le Père Forster de montrer ses connaissances techniques, notamment au sujet des moulins à eau.
Le soir, nous rencontrons dans un auditoire de l’Institut un certain nombre de jeunes de l’association. Nous nous présentons les uns aux autres. Certains parlent bien le français, comme la sémillante Anabela Grip, étudiante en études européennes à Cluj, qui sera l’une des animatrices des soirées festives du forum. Et aussi Daniela Stoia, vice-présidente de l’association, qui a fait en son temps des stages au Centre Emmaüs, en France. Poussé par le Père Vasile, je présente le monastère de Chevetogne en roumain. On a l’air d’apprécier cet effort et en tout cas on me pardonne mes inévitables fautes de grammaire.

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Le lendemain, nous allons visiter la Casa. Nous sommes accueillis par Mihaela Popa, une orpheline, au sourire communicatif, et qui vit depuis près d’un an dans ce foyer. Puis nous faisons la connaissance des autres filles de la maison. Manifestement elles sont heureuses ici, et on peut noter l’effet bénéfique d’une telle vie, dans leur manière d’être et de se comporter avec des visiteurs. Preuve que cette façon de faire est la bonne. Nous visitons leur appartement, et Cosmin, le responsable au niveau civil de l’expérience nous apprend que la principale difficulté de l’entreprise vient des voisins, inquiets de la présence de 6 jeunes filles, potentiellement délinquantes, dans l’immeuble. Nous sommes de notre côté persuadés que ces craintes sont vaines.
Enfants placés à Orlat
Puis nous partons pour Orlat, nous visitons le Centre de placement et y rencontrons la directrice. Dans cette institution, les filles sont dans des chambres à deux, chaque chambre dispose d’une salle de bain, et pour environ 15 filles, il y a un salon avec télévision et ordinateur. Ce qui veut dire que la situation de ces établissements n’est plus aussi tragique qu’il y a quelques années. Nous visitons aussi les cuisines, les salles d’étude, le réfectoire. Défense est faite de faire des photos, du reste c’est un privilège que d’avoir obtenu ce droit de visite. En effet, certains visiteurs ont naguère pénétré dans les centres de placement, pour se procurer un matériel photographique et organiser en Occident de véritables escroqueries à la charité. En fait, le problème le plus crucial est ce qui se passe à la sortie du centre, lorsque les pensionnaires ont atteint leur majorité. Certaines disparaissent dans la nature. Pas toutes heureusement. Deux poursuivent même des études universitaires. Le programme d’accompagnement lancé par les jeunes de Sibiu vient donc à son heure.
Nous partons ensuite pour visiter le petit monastère d’Orlat, récemment ouvert, où vivent 7 moniales. On nous attendait pour le lendemain. Peu importe, à 4 heures, un repas nous est servi par les sœurs, dans leur réfectoire. La coiffure des moniales intrigue certains membres de notre délégation. Puis, nous visitons le musée d’icônes sur verre, à Sibiel. Le prêtre du village ne manque pas de nous rejoindre pour nous montrer son église.
Le soir, nous dînons chez le Père Vasile et nous écoutons ses réflexions sur l’histoire récente de la Roumanie. Petit à petit, nous voyons qu’une histoire objective des premières années du régime Ceausescu voit le jour dans certains milieux intellectuels, qui n’amoindrit certes en rien le côté mégalomane et absurde du dictateur en ses dernières années. Le Père Vasile reconnaît que les Roumains de plus de 40 ans, y compris les membres du clergé, sortent difficilement d’une mentalité passive et attentiste. Beaucoup d’attitudes cultivées sous l’ancien régime perdurent et perdureront sans doute encore longtemps. C’est pourquoi la jeunesse universitaire actuelle lui apporte l’espoir d’un renouveau et d’un nouveau départ pour la Roumanie nouvelle, en train de se chercher.

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Le lendemain, après un déjeuner aux croissants et à la confiture, dans un des restaurants les plus prestigieux de Sibiu, la Crama Sibiul vechi, qui a accepté d’ouvrir ses portes pour nous chaque matin, et où nous irons manger à l’occasion certains soirs, et y apprécier l’orchestre tzigane et les serveurs en costume traditionnel, nous visitons l’Institut et sa bibliothèque. L’Institut a maintenant 800 élèves, dont beaucoup de filles. La formation théologique prépare au sacerdoce ou à l’enseignement. Un jumelage est en train de se faire avec la Catho d’Angers. Mais surtout une excellente collaboration existe avec l’Université Lucian Blaga de Sibiu. Cela permet aux étudiants de faire en même temps une spécialisation en lettres roumaine, française ou anglaise, en histoire ou en assistance sociale, tout en étudiant la théologie. Un certain nombre de jeunes gens en effet ne pourront être ordonnés, du moins dans l’immédiat, du fait qu’il y a pléthore de prêtres, malgré la multiplication récente de nouvelles paroisses. De quoi faire pâmer de jalousie bien des évêques de chez nous.
Le métropolite Antoine étant souffrant à cause de la chaleur, c’est l’évêque vicaire, Visarion, que nous avons ensuite l’honneur de rencontrer à la métropolie. Nous parlons avec lui une demi-heure sur la situation de l’Eglise orthodoxe roumaine et sur l’œcuménisme. Nous sommes surpris de l’entendre avouer que l’œcuménisme progressera plus vite, à partir du moment où il sera davantage l’œuvre des laïcs que celle des théologiens et des hiérarques.
L’après-midi, repas chez le Père Dragoi, en compagnie de son épouse et de sa fille Oana ; un prêtre particulièrement fier de son jardin, de ses abricotiers et de sa vigne. Nous buvons son vin fait maison. Comme il ne parle pas français, on me place à son côté et je puis ainsi faire plus ample connaissance avec lui, tout en m’exerçant à parler la langue de Caragiale.
Le soir, nous partons pour Rasinari, le village natal de Cioran, où de jeunes volontaires participent à la construction d’un nouveau monastère, le monastère Saint Jean Jacob le Roumain. Nous assistons en compagnie des villageois aux vêpres en plein air célébrées par le Père Vasile et le Père Catalin Dumitrean, jeune prêtre orthodoxe issu d’une famille grecque-catholique. Les enfants du village chantent ensuite quelques chants et nous dînons au monastère. Le Père Dumitrean présente tous les dimanches soirs, entre 20 h et 23 h, une émission sur une chaîne locale de télévision, intitulée Les Fleurs du Patirikon, au cours de laquelle il répond aux questions des téléspectateurs sur des thèmes spirituels. Son autre projet est d’ouvrir un village pour enfants abandonnés dans la ligne des Kinderdörpfer, que l’Allemagne a connus après la guerre. Comme il est aussi le coordinateur de la construction du monastère de Rasinari et qu’il vient en plus de construire une nouvelle église climatisée pour un hospice de vieillards de Sibiu, on peut dire de ce prêtre très zélé qu’il a une brique dans le ventre.


Le mercredi 23 juillet, en compagnie de Cosmin Soaita,, nous rendons visite au Père Oscar Raicea, un prêtre autrichien, qui dessert la plus grande église catholique romaine de Sibiu, sur la Grand Place, une église baroque du XVIIIème siècle. On y célèbre la messe en roumain, en hongrois, en allemand et en italien. Cela me donne l’occasion de vous donner une vue d’ensemble de la situation confessionnelle de cette ville. Elle s’appelait, jusqu’en 1918, et s’appelle encore pour certains Hermannstadt. C’était l’Autriche-Hongrie des Habsbourg. Au recensement de 1910, la confession majoritaire était la luthérienne avec 41 % de la population, et elle était de langue allemande. Les Saxons sont venus en Transylvanie au XIIIème siècle et étaient catholiques. Ils sont passés à la Réforme au XVIème siècle. Beaucoup sont partis en Allemagne durant les années Ceausescu, et le mouvement s’est accéléré après 1989, si bien que cette communauté ne représente plus que 2% de la population de Sibiu, contre 91% d’orthodoxes. Tels sont les chiffres du plus récent recensement, au cours duquel pour une ville de plus de 150 000 habitants, seulement 87 personnes ont déclaré être athées, agnostiques ou sans religion. Mais les Roumains sont foncièrement tolérants. Preuve en est que le maire de Sibiu est lui-même un luthérien pratiquant. Chrétien convaincu, il a participé l’an dernier au Forum de Sâmbata, avec une conférence-débat sur l’engagement des chrétiens en politique.
Nous rendons visite du reste à cette communauté luthérienne. Le vicaire épiscopal Hans Klein, et le chancelier de l’évêché, nous reçoivent, dans une salle où nous pouvons admirer les tableaux des évêques luthériens qui se sont succédés à Sibiu depuis le XVIème siècle. Nous sommes heureux d’apprendre que les professeurs de théologie de l’Institut de théologie luthérienne donnent aussi une formation aux Baptistes et aux Pentecôtistes. Nous avions rencontré au hasard de nos promenades en ville un ingénieur, de confession baptiste, qui avait lié conversation avec nous, tout heureux de rencontrer des Français. Nous avions ainsi appris qu’il y a 3 églises baptistes à Sibiu.
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Mercredi matin, une surprise nous attend. Il faut savoir que parmi les membres du chœur qui avait chanté à la cathédrale dimanche, se trouvait le Général Uscoi, commandant de la place de Sibiu et de l’école des forces terrestres de Roumanie. Ayant noté la présence d’un petit groupe d’étrangers aux premières places de l’assemblée, il a cherché à savoir qui nous étions et ayant appris la présence parmi nous d’un général français, il a fait savoir par son aumônier qu’il désirait le rencontrer. Hubert, comme nous l’appelons en toute simplicité, ne peut évidemment se dérober. Allons-nous l’accompagner ? Finalement, après quelques hésitations, nous opinons pour l’affirmative, et nous voilà partis pour la caserne. Lorsqu’un général rencontre un général, ils ne peuvent parler que d’affaires de généraux !, pensions-nous. Mais pas à Sibiu, où l’on n’a parlé que de religion. Le Général nous a certes présenté son état-major et nous avons visité le musée de l’armée. Mais surtout, nous avons parlé de la situation religieuse de la Roumanie. Le Général Uscoi est persuadé que la crise actuelle est d’abord une crise éthique, et c’est pourquoi il ne ménage pas ses efforts pour favoriser la formation éthique et l’accompagnement spirituel des élèves de son école. Il favorise une collaboration entre l’Ecole militaire et l’Institut de théologie. Il nous promet une aide logistique pour le forum de Sâmbata de Sus à partir de l’année prochaine. C’est un homme d’une grande droiture et un chrétien convaincu que nous rencontrons. En Roumanie, deux institutions ont encore la confiance de la population : l’Eglise orthodoxe roumaine et… l’armée.
L’après-midi est libre, je me promène dans Sibiu et le soir un dernier repas nous rassemble à la Crama Sibiul vechi, pour prendre des réserves avant d’affronter la nourriture de Sâmbata !

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Et jeudi, c’est le grand départ pour ce célèbre monastère, qui a eu tant de liens spirituels avec Chevetogne. Nous y arrivons dans l’après-midi. Mauvaise nouvelle : les chambres en principe réservées n’ont pas été vidées par leurs occupants actuels, qui prolongent leur séjour. Seul le starets, c'est-à-dire l’higoumène du monastère, telle est l’acception de ce terme slave en roumain, le Père Ilarion, peut nous indiquer où aller, mais voilà il n’est pas là, il est parti à Brasov. Il a beaucoup à faire car on est en train de construire un centre œcuménique à côté du monastère, et les travaux doivent être terminés pour le 15 août, fête du monastère. Lorsque des hôtes arrivent à l’improviste, ou lorsqu’un camion apporte des matériaux de construction, seul le starets peut indiquer quelles chambres donner ou l’endroit pour déposer la livraison !
Finalement, on nous met dans la maison de l’ancien starets, le Père Beniamin, bien connu à Chevetogne, une chambre pour deux à l’étage, et un salon où l’on transforme des divans en lits, pour les trois autres. A la guerre comme à la guerre, peuvent se dire le Général et tous ceux qui ont connu les joies des manœuvres militaires. Heureusement deux luxueuses salles de bain sont aussi disponibles pour notre confort.
Premier tour du monastère, dans l’attente de l’arrivée des jeunes participants au forum. Nous visitons la vieille église qui se trouve au centre de la cour, et la nouvelle grande église qui se trouve au premier étage près du portail d’entrée. Signe des temps : un écriteau à l’entrée du monastère indique, avec force détails, toutes les tenues vestimentaires proscrites dans l’enceinte. Je salue le Père Ieronim, que j’ai eu l’occasion de voir à Chevetogne, il y a quelques années. On peut voir aussi dans la cour la petite chapelle des confessions, mise à la disposition du Père Teofil, le duhovnic du monastère, c'est-à-dire le spirituel et le confesseur, qu’on appellerait starets en Russie. C’est là qu’il reçoit les pèlerins qui viennent s’adresser à lui. Emmanuel évoque à ce sujet le Padre Pio. Un moine devant la porte ouverte de la vieille église frappe le simandron pour appeler aux vêpres. Toute une atmosphère évoquant les romans de Dostoïevski baigne les lieux.
Pendant toute la durée du forum, les jeunes seront reçus au réfectoire des moines. Nous y prenons donc le repas du soir et ensuite nous nous rendons à la soirée d’accueil et d’inauguration du forum. Une bonne soixantaine de Roumains sont déjà là, ainsi qu’un Italien de Florence et nous attendons avec une vive curiosité un groupe de 15 Allemands de Leipzig et d’Erfurt, encore sur la route. Les Roumains sont orthodoxes, à l’exception de trois jeunes filles catholiques de Bucarest, emmenées par Cristina Stanca Mustea, une étudiante en études américaines, dont la joie de vivre et le sourire nous charment tous, et qui se dévoue elle aussi à une œuvre pour enfants de la capitale.
Enfin dans le courant de la soirée arrivent les jeunes Allemands, avec leur aumônier, le Père Andreas Reichwein. Ils sont catholiques et membres de l’aumônerie universitaire de Leipzig. Très vite les contacts se nouent au cours d’une soirée de chants en roumain, en français, en allemand et aussi en anglais. La mondialisation a elle aussi du bon lorsqu’elle permet de créer, grâce aux mêmes références musicales, un courant de sympathie entre jeunes qui se rencontrent pour la première fois, alors que la langue les sépare. Pour les parties sérieuses des jours qui suivront, conférences et débats, un matériel de traduction simultanée est prêt. Les Allemands connaissent tous l’anglais et tout pourra ainsi se dérouler sans problème. Vers 22 heures, nous nous rendons dans le complexe touristique voisin, pour prendre un pot et faire plus ample connaissance.

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Le lendemain, je me rends à la liturgie de 7 heures, alors que tout le monde roupille encore. Elle est célébrée par le Père Hilarion. J’y retrouve le Père Vasile, qui au moment de l’antidoron me présente au starets. Un rendez-vous est pris pour le soir avec les membres de notre délégation.
Entrée du monastère de Sâmbata de Sus
Le programme quotidien du forum veut alterner choses sérieuses et distractions. La journée commence avec le petit déjeuner, suivi d’une méditation sur l’évangile du jour. Dans le lectionnaire byzantin, c’est ce vendredi l’évangile de la perle de grand prix. Le Père Vasile, le Père Forster et le Pasteur Daudé prennent tous les trois la parole et nous offrent une lecture de cette parabole, avec les accents propres à chacune de leurs confessions respectives. Ensuite le première conférence-débat est faite par notre délégation sur le thème : Que peut apporter la jeunesse à l’Eglise et au monde aujourd’hui ? Nous donnons tous les cinq notre point de vue, et puis ce sont les questions. Je développe en particulier le thème de la joie de vivre, témoignage face à un courant moderne nihiliste, et celui de la liberté intérieure, témoignage face à la pensée unique et à la tyrannie de la mode. Une chose peut frapper dans les questions posées ensuite par les jeunes : la prédominance de l’intérêt pour les questions essentiellement religieuses, comme celle de la vie éternelle et du salut ou de la damnation. On est loin de l’indifférence religieuse de type occidental. Cela permet au Père Forster de donner une réponse circonstanciée et très orthodoxe sur la conciliation entre l’affirmation de l’amour et de la miséricorde en Dieu et la possibilité réelle pour l’homme de refuser jusqu’au bout et de se perdre à jamais.
Mais pour des jeunes il faut aussi des activités récréatives. Plusieurs ateliers sont ouverts dans l’après-midi : art floral, théâtre, modelage, peinture sur verre etc. Hubert de Quercize choisit de s’initier à la peinture sur verre. Il y aussi du sport : VTT ou badminton. Peu doué de mes mains et n’ayant plus le goût des sports, je me rends, quant à moi, avec le Père Vasile, à une rencontre entre quelques jeunes sur le thème orthodoxie et œcuménisme. J’y retrouve entre autres Anabela et Cristina. Nous sommes une petite dizaine assis au bord de la forêt qui se trouve derrière le monastère sur les premières pentes des montagnes. Chacun doit donner un témoignage sur les raisons qui le poussent à s’ouvrir à l’œcuménisme. En entendant les témoignages de ces jeunes, je suis frappé par le fait que l’œcuménisme est presque une obligation en Roumanie pour des raisons familiales ou d’itinéraires personnels. Ainsi Cristina de Bucarest explique comment ses parents grecs-catholiques sont devenus orthodoxes par la force des choses, pour pouvoir se marier à l’église, et comment elle même est devenue catholique. Manifestement les choix confessionnels personnels ne constituent pas un rejet des autres Eglises, et on voit un peu la concrétisation de ce que disait l’autre jour l’évêque Visarion : l’apport que vont constituer sur le chemin de l’unité les itinéraires personnels, l’existence des couples mixtes, ainsi que les voyages et les contacts qui se multiplient.
Le Père Teofil fera dimanche une conférence au forum, et comme nous ne serons plus là pour l’écouter, nous avons obtenu une rencontre avec lui. Il nous reçoit dans sa cellule avec affabilité et m’interroge sur les Pères de Chevetogne qu’il a connus. Il est assis sur son lit, que protège un couvre-lit aux couleurs rutilantes, à la mode roumaine, et nous sommes face à lui pour l’écouter et l’interroger. Il parle de son rôle spirituel, non sans humour parfois. Il raconte entre autres que lorsqu’il n’était pas encore prêtre, il se posait des questions sur le sérieux du ministère de la confession : « Je voyais que les gens se confessaient beaucoup mais je ne voyais jamais beaucoup de changement dans leur vie. Je me disais que si un jour je devais faire ce ministère, je ferais tout ce qu’il faut pour qu’il n’en soit plus ainsi. Je suis devenu prêtre et depuis des années j’exerce ce ministère de la confession. Eh bien, rien n’a changé. Les gens se confessent toujours autant mais il n’y a toujours pas plus de changement que par le passé ! ». Un humour qui manifeste une très belle humilité.
Le Père Teofil est un grand partisan de la communion fréquente, peu pratiquée en Roumanie, où un sens très vif de la sainteté du sacrement ainsi que des règles de jeûne très strictes ont poussé les fidèles à la communion rare, qui se réduit souvent à une seule communion par an à l’occasion du grand carême. Le duhovnic de Sâmbata essaie de réagir, mais avec peu de succès. Il retrace pour nous un dialogue typique de cette situation avec l’un de ses pénitents :
  • Quand t’es-tu confessé la dernière fois ?
  • Mais au grand carême, l’an dernier !
  • Ce n’était pas chez moi, alors.
  • Mais si, Père Teofil, vous ne vous en souvenez pas ?
  • Ce n’est pas possible, car j’ai dû te dire qu’il fallait te confesser et communier plus souvent
  • Mais vous savez, finalement, je ne l’ai pas fait
  • Mais alors pourquoi viens-tu chez moi, si tu ne fais pas ce que je te dis !
Mais attention ! communion fréquente ne veut pas dire sans un véritable effort de vie spirituelle. A ses enfants le Père Teofil donne un programme de vie : aller à l’église le dimanche et les fêtes, lire chaque jour deux chapitres du Nouveau Testament, prier le matin et le soir et pratiquer la prière de Jésus pendant la journée durant les instants libres. Selon lui, tout chrétien, non empêché par une faute grave et qui fait cet effort spirituel, a le droit de communier chaque dimanche et même chaque fois qu’il assiste à la liturgie.
Le Père Teofil
Il insiste aussi sur l’importance de la Liturgie dominicale :
  • Es-tu croyant ?
  • Oui, je suis croyant orthodoxe
  • Donc tu vas à la Liturgie chaque dimanche
  • Ah non ! Je n’en fais pas autant
  • Mais alors pourquoi dis-tu que tu es croyant ?
Des paroles simples et abruptes mais qui expriment une âme pure et sincère. On pense au Curé d’Ars ou au Padre Pio. Dans la conversation, nous posons quelques questions au Père Teofil :
  • Quels conseils donneriez-vous à ceux qui s’occupent de jeunes ?
  • Un seul, qu’ils fassent cela uniquement pour Dieu
  • Que pensez-vous de l’œcuménisme ?
  • C’est dommage qu’il y ait tant de réunions et qu’on ne fasse pas l’unité. Mais il faut continuer
  • Etes-vous optimiste ?
  • Pour moi, oui. Pour les autres, je ne peux rien dire
Là aussi, constatons son réalisme et son bon sens. L’entretien se termine et nous gagnons la porte de sa cellule, qu’il a fermée à clé. Car, dit-il, en Roumanie il y a plein de terroristes ! La porte ouverte, nous comprenons le sens de ces dernières paroles : un groupe de pèlerins qui l’attendent pour l’accompagner à sa chapelle. Deux minutes après, nous le voyons apparaître, revêtu de l’épitrachile, à la fenêtre de celle-ci, et commencer les prières préparatoires à la confession pour les fidèles massés dans la cour.
Toute autre visite ensuite chez le starets, le Père Ilarion. Nous sommes reçus dans un grand salon et l’on nous sert l’eau pétillante et la traditionnelle tuica, l’eau de vie de prune de Transylvanie. Le Père Ilarion nous parle du centre œcuménique qui s’édifie à côté du monastère. Une rencontre entre Réformés et Orthodoxes est prévue déjà en septembre. Nous visitons aussi le musée du monastère et cela nous mène jusqu’au dîner et à la seconde soirée récréative du forum, la dernière pour nous hélas. Les Allemands organisent l’un de ces divertissements dont ils ont le secret. Ces festivités vont faire apparaître chez l’un ou l’autre d’entre nous des courbatures douloureuses dès le lendemain.
Il est tard et pour nous, c’est la fin du forum, car demain nous partons pour Bucarest. On salue qui on peut et on part se coucher. Le forum continuera sans nous jusqu’à mercredi et, ai-je appris par la suite, sera un succès. Des liens d’amitié vont se créer et les jeunes de Leipzig vont même faire un petit séjour supplémentaire à Sibiu, pour profiter avec leurs amis roumains de la joie des vacances.

***

La nuit, une mystérieuse indigestion, une forte migraine et des frissons me terrassent. Vive inquiétude pour mes amis à quelques heures d’un long voyage vers la capitale. Heureusement, à l’aube, on trouve Oana Dragoi, qui accourt à mon chevet, avec un grand sac plastique plein de médicaments. Rien de grave, elle me prescrit du charbon et à la dernière minute, je m’habille, fait mes bagages et prend place dans le minibus, avec un thermos de thé. Durant le voyage , mon état se remet et à l’arrivée à Bucarest, je puis accompagner le groupe pour une visite à l’archevêché latin.
Nous sommes reçus par un jeune prêtre, Mgr Robu étant absent. Il nous parle entre autres de l’influence positive qu’a eue la visite du Pape à Bucarest sur les relations entre Catholiques et Orthodoxes. Il est vivement intéressé par l’activité de Fondacio, qu’il ne connaissait pas jusque là. En tant que catholiques, les membres de Fondacio de notre groupe, Hubert et Emmanuel, tiennent en effet à rendre compte aux autorités de leur Eglise de ce qu’ils ont fait en Roumanie avec la branche orthodoxe, tout en se faisant ainsi connaître davantage.
Le soir, nous logeons à l’Astoria, près de la gare du nord. Le restaurant de l’hôtel étant réservé une fois de plus à cause d’une noce, nous sortons à la recherche d’un bon restaurant, où pour quelques euros nous faisons un dernier et excellent repas d’amis, bien arrosé. Faut-il en parler ? Nous voyons, communiquant avec la très agréable terrasse couverte et verdoyante où nous nous régalons, un night club, où des gens commencent à arriver, et qui n’est rien d’autre qu’une salle de casino, agrémenté de la présence d’une serveuse très peu vêtue. Providentiel peut-être de voir aussi un autre aspect de la Roumanie actuelle, après cette cure de jouvence spirituelle dont la grâce nous a été faite à Sibiu et à Sâmbata, celui du matérialisme et de la recherche d’un gain facile.
La nuit passée, deux taxis nous amènent à l’aéroport et nous volons à nouveau vers la France.

***

Mon récit se termine et comme tout bon auteur, j’en fais maintenant la critique, avant de vous laisser. Est-il objectif ? Il l’est à mon sens parce que j’ai seulement essayé de vous partager mes impressions et mes réflexions face à ce que j’ai vécu là-bas. Enthousiasmé par tant de belles choses, je n’ai pas non plus caché l’enivrement spirituel et humain que j’ai pu ressentir à certains moments. J’espère que vous me pardonnez cette naïveté, qui est peut-être le gage de la véritable objectivité.

F. Simon Noël, moine de Chevetogne



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