Prier
ou travailler ?
On a souvent tendance à opposer la liturgie ou la prière au travail
et au service de la charité. Trop souvent on dit que le culte est
une perte de temps, un temps que l'on dérobe à des choses plus
importantes, comme l'engagement social envers les autres. On oublie
que l'amour de Dieu est le premier commandement et que l'amour du
prochain, si indispensable soit-il, ne vient qu'ensuite. En fait la
liturgie et la prière sont à la source de toute vie chrétienne
authentique, une vie qui a pour caractéristique l'amour des autres
en se mettant à leur service, à l'imitation du Christ, qui s'est
fait notre serviteur et nous a engagés à faire comme lui. Une vie
de service sans ce ressourcement quotidien dans la prière s'épuisera
vite ou tournera à l'activisme, au triomphe du naturalisme et à la
disparition d'un esprit vraiment surnaturel.
Le terme liturgie, leitourgia en grec, signifie fonction publique,
charge, ministère. Dans le christianisme, il en est venu à désigner
le service divin, le culte public et officiel que l’Église rend à
Dieu. La liturgie est donc au sens propre du terme un service. Non
seulement dans la liturgie, on adore Dieu, on lui rend grâce, on
expie les péchés de l'humanité, mais on rend service au monde en
attirant les grâces divines qui le sauveront de la perdition
éternelle. La troisième prière eucharistique exprime bien cette
réalité : Par le sacrifice qui nous réconcilie avec toi,
étends au monde entier le salut et la paix.
La
loi du travail
Dans le livre de la Genèse, on lit
ceci : Le Seigneur Dieu plaça l'homme dans le jardin
d’Éden pour le cultiver et le garder
(Gen. 2, 15). Ainsi dès le début de l'humanité est donné le
commandement du travail. Dans le travail, l'homme s'épanouit et se
construit. L'homme est le gestionnaire de la création. Il a reçu à
la fois un mandat et une responsabilité. En agissant comme un
maître, l'homme doit cependant veiller à ne commettre aucun abus,
il doit gérer les choses dans un esprit de solidarité et de
service, en n'oubliant pas le devoir de respect et de sauvegarde de
la création. Mais dans les termes utilisés par le livre sacré, il
y a quelque chose de plus. En cultivant le jardin du paradis
terrestre, l'homme est censé rendre un culte à Dieu. En
admirant la beauté de la création et en la perfectionnant par son
travail, l'homme entre dans une attitude de louange et d'adoration
vis-à-vis de Dieu, le créateur de toutes choses. Adam au paradis
exerçait une véritable fonction liturgique, un culte, un service
divin. Il était en ce sens prêtre, faisant monter la louange de la
création vers le créateur, comme un parfum d'agréable odeur. Nous
vivons le même mystère dans toute action liturgique, et nous
sanctifions dans la liturgie toutes nos actions et tout notre travail
de la journée.
Le
moine qui n'allait pas à l'office
La
liturgie, culte public et officiel de l’Église, a de par sa nature
une valeur plus grande que la prière privée. Une vieille histoire
illustre cette vérité. Il y avait un moine qui était un homme de
prière, il priait sans cesse mais ne participait pas aux offices du
monastère. Un jour, Dieu lui accorda une vision. Il vit une colonne
de feu et de lumière qui s’élevait de l'église, dans laquelle
priait la communauté. Il vit aussi à côté une petite lumière
vacillante et qui menaçait de s'éteindre. Il lui fut alors révélé
que la colonne stable
représentait la prière de la communauté, tandis que la petite
étincelle était sa prière à lui. Dès lors notre ermite comprit
qu'il ne devait plus s'abstenir de la prière liturgique.
Offertoire
A la messe, nous avons un rite au
cours duquel se manifeste une belle unité entre liturgie et vie
quotidienne de travail et de service. C'est le moment de
l'offertoire. Le prêtre reçoit de l'enfant de chœur la patène
avec la grande hostie, il l'élève et l'offre à Dieu en disant :
Tu es béni, Dieu de l'univers, toi qui nous donne ce pain,
fruit de la terre et du travail des hommes. Nous te le présentons,
il deviendra le pain de la vie.
Regardons cette prière en
détail. Il y a d'abord une action de grâce : nous tenons tout
du Créateur, auteur de cette nature magnifique, qui nous entoure
C'est lui qui donne à cette nature la puissance de vie, qui fait
germer le blé ou qui fait pousser la vigne. Nous ne pouvons offrir
que ce que lui nous a donné. Mais il y a aussi le travail de
l'homme. Ce travail a transformé le blé en pain et le raisin en
vin. Par son travail, l'homme
collabore donc à l’œuvre du Créateur. Enfin il y a l'ouverture
sur le mystère eucharistique. Ces réalités naturelles, le pain et
le vin, vont devenir le corps et le sang du Christ La nature sera
ainsi divinisée et Dieu sera parfaitement glorifié. L'eucharistie
est l'offrande à Dieu du corps et du sang du Christ, offrande qui a
une valeur infinie d'adoration, d'action de grâce, de propitiation
et d'intercession. Mais à l'offertoire nous apportons notre vie de
tous les jours, pour l'unir au sacrifice du Christ. Nous offrons
notre travail, nos joies et nos peines, pour que le sacrifice du
Christ soit aussi celui de toute l’Église. Et ainsi notre vie
personnelle devient une réalité surnaturelle.
Pain et vin symbolisent le don de soi, ils signifient «
l'offrande du peuple et les membres du Christ, portés sur l'autel »
( Optat de Milève, IVe siècle).
L'eucharistie
nous pousse au service
Pour aborder ce point je voudrais
relire deux prières, tirées de l'office d'action de grâce que le
prêtre est invité, dans le rite traditionnel de la messe, à
réciter en tout ou en partie, après avoir célébré. Dans
l'encyclique Mediator Dei, le pape Pie XII écrivait : Quand
la réunion publique de la communauté est congédiée, il faut que
chacun, uni au Christ, continue dans son propre cœur le cantique de
louange de la liturgie, et rende grâce à Dieu au nom de notre
Seigneur Jésus Christ. Cet
office d'action de grâce commence par le cantique des créatures,
tiré du livre de Daniel, et par le psaume 150. On y ajoute trois
oraisons, dont voici la deuxième : Seigneur, par ton
inspiration provoque nos actions, et par ton aide accompagne-les. Que
notre prière et notre activité tout entières commencent toujours
par toi, et qu'une fois entreprises, elles soient par toi achevées.
Nous avons ici un lien très
fort entre l'eucharistie et notre vie quotidienne. L'eucharistie est
la source de notre activité et du service que nous sommes appelés à
rendre tout au long de la journée. Nos actions tireront leur force
de celle de l'Esprit reçu par notre communion au Corps du Christ. En
outre, il est nécessaire que tout ce que nous allons entreprendre
soit porté par la grâce et mené par elle a bonne fin. Toute cette
grâce, nous la puisons dans la célébration eucharistique.
L'office d'action de grâce se
poursuit par diverses prières, dont l'une est intitulée offrande de
soi : Prends, Seigneur, ma liberté en plénitude.
Mémoire, intelligence et volonté, acceptes-en le don total. Tout ce
que j'ai et possède me vient de ta largesse. Tout cela, je te le
rends et te le livre, afin que tu le gouvernes absolument à ton gré.
Donne-moi seulement l'amour de toi et ta grâce, et c'est assez ;
car alors je suis riche et ne demande rien de plus.
On voit ici une belle circulation de vie, un échange incessant entre
l'âme et son Dieu. Nous recevons tout de lui et en retour, nous lui
rendons et lui offrons tout. Notre travail et notre service
deviennent ainsi une offrande de nous-même à celui qui nous a tout
donné. Notre
vie continue notre messe et il n'y a plus de séparation, ni
d'opposition entre liturgie et service.
La
diaconie
On emploie couramment aujourd'hui le
terme de diaconie pour désigner cet aspect essentiel de la mission
de l’Église qu'est le service. On parle aussi depuis le concile
d'une Église servante et pauvre. L'ordre du diaconat est un degré
du sacrement de l'ordre qui manifeste de façon particulière cette
dimension essentielle du mystère de l’Église. Dans la tradition
catholique, on distingue sept degrés dans la hiérarchie :
portier, lecteur, exorciste, acolyte, sous-diacre, diacre et prêtre.
Il faut y ajouter l'épiscopat, qui est la plénitude du sacerdoce.
Seules les ordinations de diacre, de prêtre et d'évêque sont
proprement sacramentelles. Pour
ce qu'on appelait les ordres mineurs, on parlera plutôt de nos jours
de ministères ordonnés. Depuis la réforme faite par le bienheureux
Paul VI, on ne confère habituellement aux futurs prêtres que les
ministères de lectorat et d'acolytat. L'acolyte peut par contre
exercer toutes les fonctions liturgiques du sous-diacre et peut en
porter les ornements liturgiques, comme la tunicelle.
Le diacre n'est pas prêtre. Il est
ordonné pour le service et non pour le sacerdoce, à la différence
du prêtre et de l'évêque. Le ministère du diacre a sa valeur en
elle-même. Ce serait une erreur de voir dans le diacre une sorte de
prêtre au rabais, l'équivalent de ce qu'est un vicaire pour le
curé. Jésus, le soir du
Jeudi-Saint, s'est révélé au monde comme serviteur (le lavement
des pieds) et comme prêtre de la Nouvelle alliance (institution de
l'eucharistie lors de la dernière Cène). Cette double fonction du
Christ nous est rendue
présente sacramentellement dans les deux ordres du diaconat et de la
prêtrise. L'institution des diacres, dans les Actes des apôtres,
est éclairante sur ce point : Les Douze dirent :
Ce ne serait pas normal que nous laissions de côté la parole de
Dieu pour assurer le service des tables. Trouvez plutôt parmi vous,
frères, sept hommes bien considérés, remplis de l'Esprit et de
sagesse : nous leur confierons cette charge, et nous-mêmes,
nous continuerons de nous donner à la prière et au service de la
parole (Actes 6, 2-4).
S'il
y a dans la tradition, un ordre spécial pour le service, c'est bien
parce que le service est une dimension essentielle de la vie
chrétienne, imitation d'un Seigneur qui s'est abaissé jusqu'à
laver les pieds de ses disciples, et qui nous a enjoint de faire de
même.
Conclusion
La liturgie authentique, au lieu d'être une fuite de nos devoirs,
sera toujours la source et le sommet de la vie chrétienne et ne
cessera de nous renvoyer à nos tâches quotidiennes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire