jeudi 21 juillet 2016

Liturgie et service, article paru dans la revue catholique russe Radouga

Prier ou travailler ?

On a souvent tendance à opposer la liturgie ou la prière au travail et au service de la charité. Trop souvent on dit que le culte est une perte de temps, un temps que l'on dérobe à des choses plus importantes, comme l'engagement social envers les autres. On oublie que l'amour de Dieu est le premier commandement et que l'amour du prochain, si indispensable soit-il, ne vient qu'ensuite. En fait la liturgie et la prière sont à la source de toute vie chrétienne authentique, une vie qui a pour caractéristique l'amour des autres en se mettant à leur service, à l'imitation du Christ, qui s'est fait notre serviteur et nous a engagés à faire comme lui. Une vie de service sans ce ressourcement quotidien dans la prière s'épuisera vite ou tournera à l'activisme, au triomphe du naturalisme et à la disparition d'un esprit vraiment surnaturel.

Le terme liturgie, leitourgia en grec, signifie fonction publique, charge, ministère. Dans le christianisme, il en est venu à désigner le service divin, le culte public et officiel que l’Église rend à Dieu. La liturgie est donc au sens propre du terme un service. Non seulement dans la liturgie, on adore Dieu, on lui rend grâce, on expie les péchés de l'humanité, mais on rend service au monde en attirant les grâces divines qui le sauveront de la perdition éternelle. La troisième prière eucharistique exprime bien cette réalité : Par le sacrifice qui nous réconcilie avec toi, étends au monde entier le salut et la paix.

La loi du travail

Dans le livre de la Genèse, on lit ceci : Le Seigneur Dieu plaça l'homme dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder (Gen. 2, 15). Ainsi dès le début de l'humanité est donné le commandement du travail. Dans le travail, l'homme s'épanouit et se construit. L'homme est le gestionnaire de la création. Il a reçu à la fois un mandat et une responsabilité. En agissant comme un maître, l'homme doit cependant veiller à ne commettre aucun abus, il doit gérer les choses dans un esprit de solidarité et de service, en n'oubliant pas le devoir de respect et de sauvegarde de la création. Mais dans les termes utilisés par le livre sacré, il y a quelque chose de plus. En cultivant le jardin du paradis terrestre, l'homme est censé rendre un culte à Dieu. En admirant la beauté de la création et en la perfectionnant par son travail, l'homme entre dans une attitude de louange et d'adoration vis-à-vis de Dieu, le créateur de toutes choses. Adam au paradis exerçait une véritable fonction liturgique, un culte, un service divin. Il était en ce sens prêtre, faisant monter la louange de la création vers le créateur, comme un parfum d'agréable odeur. Nous vivons le même mystère dans toute action liturgique, et nous sanctifions dans la liturgie toutes nos actions et tout notre travail de la journée.

Le moine qui n'allait pas à l'office

La liturgie, culte public et officiel de l’Église, a de par sa nature une valeur plus grande que la prière privée. Une vieille histoire illustre cette vérité. Il y avait un moine qui était un homme de prière, il priait sans cesse mais ne participait pas aux offices du monastère. Un jour, Dieu lui accorda une vision. Il vit une colonne de feu et de lumière qui s’élevait de l'église, dans laquelle priait la communauté. Il vit aussi à côté une petite lumière vacillante et qui menaçait de s'éteindre. Il lui fut alors révélé que la colonne stable représentait la prière de la communauté, tandis que la petite étincelle était sa prière à lui. Dès lors notre ermite comprit qu'il ne devait plus s'abstenir de la prière liturgique.

Offertoire

A la messe, nous avons un rite au cours duquel se manifeste une belle unité entre liturgie et vie quotidienne de travail et de service. C'est le moment de l'offertoire. Le prêtre reçoit de l'enfant de chœur la patène avec la grande hostie, il l'élève et l'offre à Dieu en disant : Tu es béni, Dieu de l'univers, toi qui nous donne ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes. Nous te le présentons, il deviendra le pain de la vie. Regardons cette prière en détail. Il y a d'abord une action de grâce : nous tenons tout du Créateur, auteur de cette nature magnifique, qui nous entoure C'est lui qui donne à cette nature la puissance de vie, qui fait germer le blé ou qui fait pousser la vigne. Nous ne pouvons offrir que ce que lui nous a donné. Mais il y a aussi le travail de l'homme. Ce travail a transformé le blé en pain et le raisin en vin. Par son travail, l'homme collabore donc à l’œuvre du Créateur. Enfin il y a l'ouverture sur le mystère eucharistique. Ces réalités naturelles, le pain et le vin, vont devenir le corps et le sang du Christ La nature sera ainsi divinisée et Dieu sera parfaitement glorifié. L'eucharistie est l'offrande à Dieu du corps et du sang du Christ, offrande qui a une valeur infinie d'adoration, d'action de grâce, de propitiation et d'intercession. Mais à l'offertoire nous apportons notre vie de tous les jours, pour l'unir au sacrifice du Christ. Nous offrons notre travail, nos joies et nos peines, pour que le sacrifice du Christ soit aussi celui de toute l’Église. Et ainsi notre vie personnelle devient une réalité surnaturelle. Pain et vin symbolisent le don de soi, ils signifient «  l'offrande du peuple et les membres du Christ, portés sur l'autel » ( Optat de Milève, IVe siècle).

L'eucharistie nous pousse au service

Pour aborder ce point je voudrais relire deux prières, tirées de l'office d'action de grâce que le prêtre est invité, dans le rite traditionnel de la messe, à réciter en tout ou en partie, après avoir célébré. Dans l'encyclique Mediator Dei, le pape Pie XII écrivait : Quand la réunion publique de la communauté est congédiée, il faut que chacun, uni au Christ, continue dans son propre cœur le cantique de louange de la liturgie, et rende grâce à Dieu au nom de notre Seigneur Jésus Christ. Cet office d'action de grâce commence par le cantique des créatures, tiré du livre de Daniel, et par le psaume 150. On y ajoute trois oraisons, dont voici la deuxième : Seigneur, par ton inspiration provoque nos actions, et par ton aide accompagne-les. Que notre prière et notre activité tout entières commencent toujours par toi, et qu'une fois entreprises, elles soient par toi achevées. Nous avons ici un lien très fort entre l'eucharistie et notre vie quotidienne. L'eucharistie est la source de notre activité et du service que nous sommes appelés à rendre tout au long de la journée. Nos actions tireront leur force de celle de l'Esprit reçu par notre communion au Corps du Christ. En outre, il est nécessaire que tout ce que nous allons entreprendre soit porté par la grâce et mené par elle a bonne fin. Toute cette grâce, nous la puisons dans la célébration eucharistique.
L'office d'action de grâce se poursuit par diverses prières, dont l'une est intitulée offrande de soi : Prends, Seigneur, ma liberté en plénitude. Mémoire, intelligence et volonté, acceptes-en le don total. Tout ce que j'ai et possède me vient de ta largesse. Tout cela, je te le rends et te le livre, afin que tu le gouvernes absolument à ton gré. Donne-moi seulement l'amour de toi et ta grâce, et c'est assez ; car alors je suis riche et ne demande rien de plus. On voit ici une belle circulation de vie, un échange incessant entre l'âme et son Dieu. Nous recevons tout de lui et en retour, nous lui rendons et lui offrons tout. Notre travail et notre service deviennent ainsi une offrande de nous-même à celui qui nous a tout donné. Notre vie continue notre messe et il n'y a plus de séparation, ni d'opposition entre liturgie et service.

La diaconie

On emploie couramment aujourd'hui le terme de diaconie pour désigner cet aspect essentiel de la mission de l’Église qu'est le service. On parle aussi depuis le concile d'une Église servante et pauvre. L'ordre du diaconat est un degré du sacrement de l'ordre qui manifeste de façon particulière cette dimension essentielle du mystère de l’Église. Dans la tradition catholique, on distingue sept degrés dans la hiérarchie : portier, lecteur, exorciste, acolyte, sous-diacre, diacre et prêtre. Il faut y ajouter l'épiscopat, qui est la plénitude du sacerdoce. Seules les ordinations de diacre, de prêtre et d'évêque sont proprement sacramentelles. Pour ce qu'on appelait les ordres mineurs, on parlera plutôt de nos jours de ministères ordonnés. Depuis la réforme faite par le bienheureux Paul VI, on ne confère habituellement aux futurs prêtres que les ministères de lectorat et d'acolytat. L'acolyte peut par contre exercer toutes les fonctions liturgiques du sous-diacre et peut en porter les ornements liturgiques, comme la tunicelle.
Le diacre n'est pas prêtre. Il est ordonné pour le service et non pour le sacerdoce, à la différence du prêtre et de l'évêque. Le ministère du diacre a sa valeur en elle-même. Ce serait une erreur de voir dans le diacre une sorte de prêtre au rabais, l'équivalent de ce qu'est un vicaire pour le curé. Jésus, le soir du Jeudi-Saint, s'est révélé au monde comme serviteur (le lavement des pieds) et comme prêtre de la Nouvelle alliance (institution de l'eucharistie lors de la dernière Cène). Cette double fonction du Christ nous est rendue présente sacramentellement dans les deux ordres du diaconat et de la prêtrise. L'institution des diacres, dans les Actes des apôtres, est éclairante sur ce point : Les Douze dirent : Ce ne serait pas normal que nous laissions de côté la parole de Dieu pour assurer le service des tables. Trouvez plutôt parmi vous, frères, sept hommes bien considérés, remplis de l'Esprit et de sagesse : nous leur confierons cette charge, et nous-mêmes, nous continuerons de nous donner à la prière et au service de la parole (Actes 6, 2-4).
S'il y a dans la tradition, un ordre spécial pour le service, c'est bien parce que le service est une dimension essentielle de la vie chrétienne, imitation d'un Seigneur qui s'est abaissé jusqu'à laver les pieds de ses disciples, et qui nous a enjoint de faire de même.

Conclusion

La liturgie authentique, au lieu d'être une fuite de nos devoirs, sera toujours la source et le sommet de la vie chrétienne et ne cessera de nous renvoyer à nos tâches quotidiennes.






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