lundi 25 juillet 2016

Vocation œcuménique de Chevetogne Première partie: histoire

Je donne ici la première partie d'une conférence que je fis à l'abbaye de Clervaux, il y a deux ans, pour la semaine de l'unité, en présence de Mgr Jean-Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg, des moines de Clervaux et de plusieurs prêtres luxembourgeois. Cette partie traite de l'histoire de Chevetogne. Une seconde partie traitait de l'actualité œcuménique. Je la publierai plus tard, mais comme des faits nouveaux sont survenus depuis, je ne sais encore si je la publierai telle quelle ou si je la remanierai en fonction de l'actualité récente, en particulier celle qui a trait à la rencontre historique entre Notre saint Père le pape et le Patriarche de Moscou et de toute la Russie.


La vocation œcuménique de Chevetogne 
Histoire  

Je voudrais vous parler de la vocation œcuménique de Chevetogne, ce monastère bénédictin consacré à la prière et au travail pour l'unité des chrétiens.  Je vous parlerai d'abord de l'histoire, en vous présentant le fondateur de la communauté, dom Lambert Beauduin (1873-1960) et ensuite de la vie du monastère à l'heure actuelle et je terminerai en évoquant quelques points de l'actualité œcuménique.

 Dom Lambert Beauduin  

La communauté d'Amay-sur-Meuse, entre Liège et Huy, transférée ensuite en 1939 à Chevetogne, dans le Condroz belge, à mi-chemin entre Ciney et Rochefort, est née de l'intuition d'un moine bénédictin de l'abbaye du Mont-César, à Louvain, le Père Lambert, né Octave Beauduin en 1873, à Rosoux, près de Waremme, en Hesbaye.  Le Père Lambert, Octave Beauduin, est né dans une famille d'industriels, dans un village hesbignon, dans une région consacrée à la culture de la betterave, et à l'industrie sucrière. Sa famille était catholique et fervente, et en même temps politiquement libérale. Les convictions catholiques étaient solides et sincères. On récitait le rosaire en famille. En 1878, à la mort de Pie IX, le chef de famille déclarait à ses enfants : « un très grand pape vient de mourir ». Cela s'alliait, comme je le disais, à un libéralisme politique. C'est ainsi que l'âme d'Octave fut remplie d'un heureux alliage, une foi robuste et une grande ouverture d'esprit. Une base religieuse solide lui procurait un équilibre et une sérénité de l'esprit, qui lui permettrait en même temps toutes les audaces et toutes les aventures. J'évoque ici un souvenir personnel, qui pourra illustrer ce que je vous dis. J'ai participé, il y a quelques années, à Sibiu, en Roumanie, au colloque des Églises européennes, comme l'un des délégués de l’Église catholique belge. Un soir je me suis retrouvé, avec le pasteur Gilles Daudé, de l’Église réformée de France, face à un public de jeunes de la faculté de théologie orthodoxe. L'un des étudiants posa au pasteur la question suivante : « Comment faire vraiment de l’œcuménisme? ». Le pasteur Daudé répondit : « Il faut deux éléments. D'abord être vraiment enraciné dans la tradition de sa propre Église, avoir une véritable identité confessionnelle. Et ensuite, s'ouvrir à l'autre, aller vers l'autre ». Sans une base solide, comme point de départ, l'ouverture risquerait de conduire au relativisme, la peste de notre temps. Ce serait construire sur le sable. Le Père Lambert nous donne l'exemple d'une ouverture, appuyée sur la solidité du roc. 

Apostolat auprès des ouvriers liégeois

Dans une telle famille, une vocation sacerdotale put s'épanouir. Octave entra au séminaire et devint prêtre dans le diocèse de Liège en 1897. Il reçut d'abord une humble mission : surveillant dans un petit séminaire.  Nous sommes à la fin du XIXe siècle, avec deux problèmes pour les chrétiens : la question sociale et les débuts de la déchristianisation de la classe ouvrière. L'évêque de Liège était alors Mgr Doutreloux, un prélat sensible aux problèmes sociaux de l'époque. Nous sommes aussi à l'époque de Léon XIII et de Rerum Novarum. L'abbé Beauduin, avec sa ferveur personnelle, était lui aussi sensible à ce problème de la déchristianisation. Son cœur d'apôtre lui inspirait de se donner à l'apostolat des masses, menacées par le socialisme. Cette sensibilité à la déchristianisation lui restera toute sa vie, et il lui apportera trois réponses successives, différentes mais complémentaires : sociale, liturgique, unioniste. Il vivra sa vie de prêtre en harmonie avec les options pastorales de l’Église de son temps. Il dira de lui qu'il avait été social avec Léon XIII, liturgique avec Pie X, et unioniste avec Pie XI. Mais toujours avec ce souci d'évangéliser le monde, d'amener les âmes au Christ.  Réponse sociale donc, dans un premier temps. En 1899 il décida de s’agréger à une toute nouvelle congrégation de prêtres : les Aumôniers du travail. Cette petite société, créée au pays de Liège, se consacrait à l'apostolat en milieu ouvrier. En ce temps-là, des jeunes gens venaient de la campagne pour travailler dans l'industrie et étaient livrés à eux-mêmes et aux dangers de la ville. Les aumôniers du travail créèrent pour eux des foyers d'accueil, afin de les encadrer et de leur fournir un accompagnement spirituel. L'abbé Octave Beauduin œuvrera dans cet apostolat sept années durant. 

Entrée dans la vie bénédictine

 En 1906, pour des raisons mal connues, peut-être liées à la venue d'un nouvel évêque à Liège, il change complètement d'orientation. Il décide de se faire bénédictin et entre à l'abbaye prestigieuse du Mont-César à Louvain. Il reçoit le nom monastique de Lambert. Dans les premiers temps de sa vie monastique, il fit une expérience, qu'on peut qualifier de mystique. C'était durant l'office choral qu'un jour, il perçut que l’Église était, dans la réalité profonde de son mystère, l'épouse du Christ, adorant et louant son Seigneur. Il saisit aussi que ce mystère bouleversant, l’Église le vivait d'abord dans l'action liturgique. Jusque là, comme quasi tous les prêtres de paroisse, il n’avait vu dans la liturgie qu’une « série de prescriptions minutieuses et arbitraires imposées, croirait-on, pour exercer la patience de ceux qui les étudient et les accomplissent ».  Dans son attention portée au drame de la déchristianisation, Beauduin comprit qu'il ne s'agissait pas d'abord d'une situation liée aux injustices sociales, mais de quelque chose de plus ancien et de plus profond, à savoir l'éloignement du peuple chrétien par rapport à la liturgie de l’Église. Il fallait qu'au plus vite les fidèles retrouvassent les sources vives de la liturgie.  En 1909, il lança donc le mouvement liturgique belge. Beaucoup de curés et de vicaires de paroisse, plus fervents les uns que les autres, adhérèrent au mouvement. Ce mouvement cherchait, notamment par l'édition de brochures, à favoriser une participation intelligente et active au culte liturgique. Sans le savoir, ils réalisaient ainsi ce que le Concile Vatican II a prôné dans sa constitution Sacrosanctum Concilium. La grand messe paroissiale du dimanche devenaient ainsi le centre vivant et rayonnant de toute la semaine chrétienne. Beauduin écrivit aussi à cette époque son best- seller, La Piété liturgique, dans lequel il développait ses idées en la matière. La liturgie devait retrouver la première place dans la piété catholique, afin d'éviter un certain dessèchement ou la mièvrerie. Bien sûr dom Lambert ne s'opposait nullement à l'oraison personnelle ni aux dévotions particulières. Toute sa vie il restera fidèle au rosaire et au chemin de croix. Mais il voulait retrouver un certain équilibre spirituel et ecclésial, en aidant les fidèles à retrouver les sources vives de la liturgie. 

Séjour en Angleterre 

Pendant la guerre de 1914-1918, Beauduin fit de la résistance et dut se cacher. Il dut fuir enfin en Angleterre et ce sera pour lui l'occasion de nouvelles expériences. Il va en effet découvrir dans ce pays l’Église anglicane. Lui qui avait toujours vécu dans un pays massivement catholique, il va découvrir pour la première fois des chrétiens séparés de Rome. L’Église d'Angleterre : une Église avec sa magnifique liturgie et sa riche tradition spirituelle, une Église aussi avec en son sein un puissant courant de nostalgie catholique, un besoin de retrouver les racines anciennes, du temps où cette Église vivait encore en communion avec Rome et par là avec l’Église indivise des Pères. 
  
Découverte de l'orient

La Paix revint et dom Lambert fut envoyé à Rome comme professeur d'ecclésiologie (1921-1925). Là il va aller à la rencontre de l'Orient chrétien. Nouvelle révélation ! Toute cette tradition de l'orient, des Pères grecs, la beauté de la liturgie et la ferveur du monachisme. Il fera un voyage en Terre Sainte. Il visitera l'Ukraine et se liera d'amitié avec un grand prélat catholique oriental, le métropolite de Lwow, André Sceptitsky. Il fera une expérience bouleversante. Le soir d'un 24 mars, il se rendra à la Laure orthodoxe de Potchaiev pour y assister aux vigiles de l'annonciation. Il sera ému par la piété des fidèles orthodoxes. Ainsi donc une vraie vie spirituelle existait en dehors des frontières visibles de l’Église romaine. Non seulement une vie spirituelle mais une authentique sainteté.   Lambert Beauduin connut ainsi la hantise de l'unité de l’Église. Notre-Seigneur, au moment de partir vers sa passion, en ce moment suprême, avait prié pour l'unité. Qu'ils soient un afin que le monde croie. Or cette unité avait été perdue par notre faute, au cours de l'histoire. Cela n'expliquait-il pas l'incroyance et la déchristianisation ? Ainsi donc à ce problème, naît chez Lambert Beauduin une nouvelle réponse, un nouveau défi : celui de l'unionisme, comme on disait alors, ou si vous préférez celui de l’œcuménisme, pour utiliser un terme d'aujourd'hui. 

Le prieuré de l'union des Eglises

  Il va être ainsi à l'origine du prieuré de l'union à Amay. Le pape Pie XI avait en 1925 demandé à l'ordre bénédictin de s'engager en faveur de l'unité des chrétiens et de s'investir dans l'apostolat vis- à-vis des chrétiens d'orient. Il reprenait ainsi une intuition de Léon XIII. Par son ancienneté, par sa règle qui datait de l'époque de l’Église indivise, d'avant la séparation de 1054, l'ordre de saint Benoît était considéré comme mieux à même de travailler dans ce secteur.  Le prieuré fondé en 1925 sera une réponse à l'appel du pape. Il aura les caractéristiques essentielles suivantes, qui sont encore celles de Chevetogne : une communauté bénédictine, donc catholique, qui prie et travaille pour l'unité et en particulier pour la réconciliation entre l'orient et l'occident ; une communauté bi-rituelle, avec le rite romain et le rite byzantin ; une communauté qui n'a pas de dessein de prosélytisme vis-à-vis des orientaux, mais qui cherchera plutôt à faire connaître chez nous les richesses de la liturgie et de la spiritualité orientale.   La nouvelle communauté se voudra donc comme un pont entre l'orient et l'occident. Son travail pour l'unité se fera essentiellement sur le mode monastique. L'essentiel sera donc la prière et l'étude. Il ne s'agira donc pas d'une sorte de diplomatie œcuménique, mais d'une vie de prière et d'accueil de l'autre, en qui le Christ est présent. Ce que Notre Père Saint Benoît dit de l'accueil de l'hôte sera donc vécu principalement par l'ouverture aux frères séparés.   La célébration liturgique est donc au cœur de cette communauté. La liturgie est en effet le cœur de l’Église. Cela est particulièrement vrai chez les orthodoxes. La liturgie byzantine est le cœur et l'expression de l'âme de l’Église orientale. En célébrant avec eux la liturgie orientale, les moines de l'union apprennent à connaître de l'intérieur et à vivre en communion avec nos frères d'orient. Si le manque d'amour et l'ignorance mutuelle furent cause de la division, la charité et la connaissance de l'autre favoriseront l'union des cœurs et le chemin vers un retour à la pleine unité visible. L'existence du rite byzantin à Amay-Chevetogne n'est donc pas liée à un dessein missionnaire ou pastoral, mais à une recherche de l'unité. Bien souvent les moines de dom Lambert ont pu faire l'expérience d'une véritable sympathie à leur égard de la part de nombreux orientaux, qui voyaient en eux des amis sincères de l'orient. Je suis persuadé que cela est dû au fait que l'âme monastique des moines du prieuré de l'union est vraiment façonnée par la pratique du rite oriental.  

Difficultés 

Il y eut dans la jeune communauté très vite des problèmes, dus à un profond malentendu. Il faut savoir que cette œuvre nouvelle, approuvée par le Saint-Siège, fut dans un premier temps rattachée à la Commission pro Russia, présidée à Rome par un homme de confiance du pape, le jésuite Mgr d'Herbigny. Dans les milieux romains, on croyait à tort que le bolchevisme s'effondrerait rapidement en Russie et que cet immense pays, devenu un désert spirituel, serait assez vite ouvert à un retour vers le catholicisme. Hélas, le communisme allait durer 70 ans en Russie. D'autre part la suite a montré que la conscience d'une identité orthodoxe était au cœur de la société russe. Nous savons maintenant que la promesse de la mère de Dieu à Fatima s'est réalisée. La Russie est maintenant un pays chrétien, et alors que nos pays occidentaux sont de plus en plus marqués par une certaine christianophobie, la Russie défend de plus en plus les valeurs chrétiennes, notamment dans les questions éthiques. Il y a quelques semaines, on a pu voir cette coïncidence symbolique entre deux faits de l'actualité : le jour où le pape François et le président Poutine vénéraient ensemble une icône au Vatican, les États-Unis annonçaient qu'ils fermaient leur ambassade près le Saint-Siège. (Note: à l'époque où je parlais, il s'agissait d'une possibilité, mais elle ne s'est pas confirmée dans la suite. Les journalistes avaient encore parlé trop vite)
 Mgr d'Herbigny voulait donc dans le contexte de ce temps faire du nouveau prieuré une maison de formation de missionnaires pour l'évangélisation de la Russie. Tel n'était pas du tout l'idée de dom Lambert, dont les perspectives n'étaient pas missionnaires mais unionistes. Les vues de dom Lambert étaient même beaucoup plus larges, que la question orientale. Il songeait à l'unité de tous les chrétiens. Souvenons-nous de son séjour en Angleterre. Or c'est au moment de la création d'Amay qu'eurent lieu en Belgique les Conversations de Malines entre catholiques et anglicans. Beauduin rédigea alors son mémoire sur l’Église anglicane, unie et non absorbée. Toujours la même idée : unité de tous les chrétiens dans la foi et la communion sacramentelle, mais dans le respect des diversités liturgiques, théologiques et spirituelles. Avec une certaine dose de naïveté, on croyait assez rapidement possible le retour à l'unité. Avec le recul du temps, nous constatons hélas que dans la suite, avec les évolutions actuelles de la communion anglicane, le fossé s'est élargi entre Rome et Cantorbéry et que le retour à la communion est une perspective fort lointaine.  

Vir Dei et Ecclesiae

Je vais omettre de vous raconter les péripéties de la vie de dom Lambert à partir des années 30, car j'ai dit l'essentiel pour comprendre le Chevetogne d'aujourd'hui. Je résume les faits. Sanctionné par Rome, il préférera, pour sauver sa communauté, accepter le chemin de l'exil. L’exil ouvrira au Père Lambert un nouveau champ d’action. Dans le silence austère de l’abbaye d’En-Calcat tout d’abord, où il impressionnera ses confrères par son enseignement et par le sérieux qu’il mettra à pratiquer la vie monastique. Ensuite, pendant dix-sept ans, il sillonnera la France, diffusant une spiritualité pascale, trinitaire et ecclésiale, perspectives insolites à l’époque, portant ainsi à maturité l’impulsion reçue de son maître dom Columba Marmion. Il envisagera aussi le rôle que les monastères pourraient exercer au service de la pastorale locale. Il se rendra également plusieurs fois en Grande Bretagne. Travailleur infatigable et grand épistolier, aumônier de communautés religieuses, prédicateur de retraites, homme de contacts, il était tout à son interlocuteur, éveillant ce qu’il y a de meilleur en lui.  
En 1951, à l’âge de 78 ans, Beauduin pourra prendre place discrètement à l’hôtellerie de son monastère, qu’il avait dû quitter près de vingt-trois ans plus tôt. Il y décédera le 11 janvier 1960, entouré des siens et officieusement réhabilité par Rome.  Le P. Lambert, vir Dei et ecclesiae, comme on l'a si bien écrit de lui, inscription reprise sur la croix planté sur sa tombe, sanctionné par l’Église en son temps et maintenant vu comme un prophète. Il considéra toujours l’Église comme sa mère et obéit d'une façon héroïque, avec beaucoup d'humour en même temps. Il ne fut pas puni pour un délit canonique, car on ne pouvait rien lui reprocher au niveau de son orthodoxie ou de sa vie morale. Ce fut une sanction administrative qui l'envoya en exil. Il dérangeait en effet le conformisme et la routine. Sans remonter à Jeanne d'Arc, signalons d'autres cas au XXe siècle : sœur Faustine, canonisée par Jean-Paul II, et dont les écrits avaient été mis à l'index par le Saint-Office ; ou le Padre Pio, suspect a maint autorités durant sa vie, même aux yeux du bon pape Jean ! Nous voyons donc que la sainteté n'exclut pas des problèmes avec le côté humain de l’Église. 

 La vie à Chevetogne aujourd'hui

  La communauté actuelle se compose de 26 moines de 9 nationalités différentes et d'un oblat régulier orthodoxe russe, d’origine juive. L'un de nos moines vit en ermitage. ( Actuellement, en juillet 2016: 27 moines, un novice, l'oblat régulier orthodoxe, l'ermite est venu revivre en communauté!) La vie liturgique est donc basée sur l'existence de 2 décanies, latine et byzantine, chacune comprenant plus ou moins le même nombre de frères. Le noviciat se fait au rite latin, car la formation de base est bénédictine. Une exception est prévue pour le novice qui serait canoniquement de par son baptême de rite oriental. Outre les cours sur la règle, la lectio divina et l'histoire de la spiritualité, le novice reçoit une formation sur la liturgie orientale. Il apprend aussi le slavon, langue officielle liturgique de l’Église russe. Le noviciat dure 2 ans. Le novice peut demander ou l'abbé imposer une période supplémentaire de 6 mois. A la fin de ce noviciat a lieu la profession perpétuelle simple. Elle est ratifiée en profession solennelle, généralement 5 ans après, avec l'accord du séniorat. ( Ce n'est plus vrai actuellement: le chapitre a rétabli les vœux triennaux). Les profès simples sont membres du chapitre, mais n'ont pas voix passive. Après la ratification, ils ont voix passive, peuvent donc siéger au séniorat, être ordonnés diacre et prêtre. (Là aussi, le retour au droit commun a eu lieu: il y a des profès temporaires et des profès perpétuels). Au moment de la profession simple, le nouveau moine, après discussion avec l'abbé, opte pour le rite latin ou byzantin. Comme nous sommes tous canoniquement bi-rituels, on peut aussi dans la suite changer de décanies, si les besoins de la communauté l'exigent.  Le monastère a des constitutions propres, actuellement en révision( elles ont été approuvées cette année par la Saint-Siège). Il ne fait partie d'aucune congrégation bénédictine, mais dépend directement de la congrégation pour les Églises orientales à Rome. Celle-ci nomme un abbé visiteur, actuellement dom Longeat de Ligugé. Nous suivons le droit canon latin. 

 Parlons de la vie liturgique à Chevetogne 

Les offices ont lieu dans les deux rites au même moment. Les hôtes ont donc le choix. Les offices latins sont les laudes, sexte, vêpres et vigiles avec complies. Les offices orientaux sont l'orthros, sexte, vêpres et complies. Les offices latins sont en français avec chant modal, et partiellement en grégorien et en latin, lors des mémoires obligatoires et des fêtes, en ce qui concerne les antiennes, hymnes et répons. L'office byzantin est en slavon, avec des parties en français.  Pour l'eucharistie, il n'y en n'a qu'une par jour. Le dimanche toute la communauté se rassemble pour la liturgie de saint Jean Chrysostome. Elle est célébrée en grec un dimanche sur deux. Une deuxième liturgie orientale est célébrée l'un des jours de la semaine. Une messe latine conventuelle est célébrée aussi l'un des jours de la semaine, avec la présence des moines byzantins. Il y a donc trois messes conventuelles par semaine, plus s'il y a des fêtes particulières. Les autres jours on célèbre une messe latine non chantée, le matin après le temps de la lectio divina. Ainsi, quel que soit son rite, le moine de Chevetogne est sensé bien connaître l'autre liturgie.   Enfin l'un des moments les plus beaux de la prière communautaire sont les vigiles byzantines solennelles du samedi soir et des vigiles des grandes solennités. C'est un usage orthodoxe russe, aussi bien monastique que paroissial, que ces vigiles, qui durent presque 3 heures, et qui sont constituées des grandes vêpres et des matines. La vigile du samedi soir, centrée sur la résurrection, est une magnifique préparation à la liturgie du lendemain.  

Apostolat pour l'unité

Parlons maintenant de notre activité œcuménique. Elle se vit essentiellement par l'accueil et l'étude. L’abbaye de Chevetogne veut être un lieu de prière, de rencontre et de travail théologique pour l’unité des chrétiens de toutes dénominations. Nous accueillons toutes sortes d'hôtes. A commencer par les catholiques, qui veulent découvrir le rite et la spiritualité orientaux.  Outre les offices, ils trouveront dans notre magasin des CD enregistrés par notre chœur byzantin, de nombreux livres, des icônes. Ensuite nous sommes heureux d'accueillir des chrétiens d'autres confessions et d'avoir ainsi de fructueux échanges.   

Irenikon

Notre apostolat intellectuel se concrétise d'abord par la revue Irénikon. Irénikon, revue œcuménique trimestrielle des moines de Chevetogne, est intimement liée à la fondation et à l’histoire du monastère. Depuis presque huit décennies, elle offre des études historiques, théologiques, spirituelles ou monastiques afin de mettre en commun les richesses de la Tradition dont vivent toutes les églises d’Orient et d’Occident et de promouvoir ainsi une estime réciproque, premier pas vers un dialogue sérieux entre Églises. Dans une chronique unique en son genre, Irénikon informe également chaque trimestre ses lecteurs des événements qui ont marqué la vie des différentes églises et des dialogues ou rencontres officielles entre Églises.En outre, un éditorial et des recensions d’ouvrages récemment parus rendent compte de l’actualité œcuménique et théologique. Irénikon paraît tous les trois mois.  

Actualité œcuménique (début de la seconde partie de la conférence)
 Dans cette troisième partie de mon exposé, je voudrais évoquer l'actualité œcuménique. Où en est- on pour le moment ? Après une période d'euphorie et d'espoirs immenses, il semble un peu qu'on traverse le désert. Après le printemps, le gel semble être revenu. Ne dramatisons pas et considérons quand même les résultats obtenus et le chemin parcouru. D'autre part, il ne faut pas séparer la crise actuelle du travail pour l'unité de la crise spirituelle globale de nos sociétés occidentales. Les églises sont vides, les assemblées de plus en plus vieillissantes. L’œcuménisme n'est donc plus une priorité semble-t-il. L'évangélisation serait dans ce contexte une tâche plus urgente. Quand il lança le mouvement liturgique, quand il s'embarqua dans l'aventure unioniste, dom Lambert vivait dans une Belgique, massivement catholique pratiquante, avec des références communes solides. Nous nous vivons dans le contexte de la sécularisation, voire de l'apostasie généralisée. Il n'en reste pas moins que dans le contexte de la nouvelle évangélisation, le travail pour l'unité garde toute sa valeur. Résonne ainsi la parole du Christ : Qu'ils soient un afin que le monde croie. 

                                                                                                                      A suivre

3 commentaires:

  1. Très belle conférence ! Merci de l'avoir partagée !

    Une question cependant: vous parlez de relativisme; pensez-vous que Chevetogne échappe à ce travers ? Pensez-vous que ce fut aussi le cas de Dom Lambert ?
    Je m'explique: il me semble que ce dernier avait une conception, disons, "large" de l'Eglise. Celle-ci se trouverait finalement aussi bien dans les communautés protestantes que dans l'Eglise catholique, ou dans l'orthodoxie... Or il est évident que pour un catholique, cette proposition est inadmissible: "L'Eglise du Christ subsiste dans (subsistit in) l'Eglise catholique" (Lumen Gentium).
    Or, beaucoup de personnes impliquées dans l'oecuménisme (ce qui est très louable par ailleurs) semblent partager cette position. Est-ce le cas de votre monastère ? De votre fondateur ?

    Soyez dans tous les cas remercié de votre travail sur ce blogue; c'est toujours un plaisir que de vous lire.

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    1. Il faut bien avouer que le relativisme est présent un peu partout aujourd'hui. Je ne sais ce que dirait le P. Lambert de nos jours. Il est mort avant le concile. Je suppose qu'il adopterait l'enseignement du concile. L'Eglise du Christ subsiste dans l'Eglise catholique. Dans les communautés séparées il existe des éléments de vérité et de sanctification. Il y a donc une communion partielle entre ces chrétiens séparés et nous. Les orthodoxes et les protestants ne peuvent être mis sur le même plan que les non-chrétiens. En son temps il a développé des conceptions très larges, mais je pense sans tomber dans le relativisme actuel. Il a toujours voulu être un fils de l'Eglise. Cela ne veut pas dire qu'il a eu toujours raison.

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    2. Par exemple il a été enthousiaste pour les conversations de Malines. Mais que penserait-il de l'évolution actuelle des anglicans? L'unité entre catholiques et anglicans semble de nos jours bien compromise

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