Je donne ici la première partie d'une conférence que je fis à l'abbaye de Clervaux, il y a deux ans, pour la semaine de l'unité, en présence de Mgr Jean-Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg, des moines de Clervaux et de plusieurs prêtres luxembourgeois. Cette partie traite de l'histoire de Chevetogne. Une seconde partie traitait de l'actualité œcuménique. Je la publierai plus tard, mais comme des faits nouveaux sont survenus depuis, je ne sais encore si je la publierai telle quelle ou si je la remanierai en fonction de l'actualité récente, en particulier celle qui a trait à la rencontre historique entre Notre saint Père le pape et le Patriarche de Moscou et de toute la Russie.
La
vocation œcuménique de Chevetogne
Histoire
Je
voudrais vous parler de la vocation œcuménique de Chevetogne, ce
monastère bénédictin consacré à la prière et au travail pour
l'unité des chrétiens. Je vous parlerai d'abord de
l'histoire, en vous présentant le fondateur de la communauté, dom
Lambert Beauduin (1873-1960) et ensuite de la vie du monastère à
l'heure actuelle et je terminerai en évoquant quelques points de
l'actualité œcuménique.
Dom Lambert Beauduin
La communauté
d'Amay-sur-Meuse, entre Liège et Huy, transférée ensuite en 1939 à
Chevetogne, dans le Condroz belge, à mi-chemin entre Ciney et
Rochefort, est née de l'intuition d'un moine bénédictin de
l'abbaye du Mont-César, à Louvain, le Père Lambert, né Octave
Beauduin en 1873, à Rosoux, près de Waremme, en Hesbaye. Le
Père Lambert, Octave Beauduin, est né dans une famille
d'industriels, dans un village hesbignon, dans une région consacrée
à la culture de la betterave, et à l'industrie sucrière. Sa
famille était catholique et fervente, et en même temps
politiquement libérale. Les convictions catholiques étaient solides
et sincères. On récitait le rosaire en famille. En 1878, à la mort
de Pie IX, le chef de famille déclarait à ses enfants : « un très
grand pape vient de mourir ». Cela s'alliait, comme je le disais, à
un libéralisme politique. C'est ainsi que l'âme d'Octave fut
remplie d'un heureux alliage, une foi robuste et une grande ouverture
d'esprit. Une base religieuse solide lui procurait un équilibre et
une sérénité de l'esprit, qui lui permettrait en même temps
toutes les audaces et toutes les aventures. J'évoque ici un souvenir
personnel, qui pourra illustrer ce que je vous dis. J'ai participé,
il y a quelques années, à Sibiu, en Roumanie, au colloque des
Églises européennes, comme l'un des délégués de l’Église
catholique belge. Un soir je me suis retrouvé, avec le pasteur
Gilles Daudé, de l’Église réformée de France, face à un public
de jeunes de la faculté de théologie orthodoxe. L'un des étudiants
posa au pasteur la question suivante : « Comment faire vraiment de
l’œcuménisme? ». Le pasteur Daudé répondit : « Il faut deux
éléments. D'abord être vraiment enraciné dans la tradition de sa
propre Église, avoir une véritable identité confessionnelle. Et
ensuite, s'ouvrir à l'autre, aller vers l'autre ». Sans une base
solide, comme point de départ, l'ouverture risquerait de conduire au
relativisme, la peste de notre temps. Ce serait construire sur le
sable. Le Père Lambert nous donne l'exemple d'une ouverture, appuyée
sur la solidité du roc.
Apostolat auprès des ouvriers liégeois
Dans une telle famille, une vocation
sacerdotale put s'épanouir. Octave entra au séminaire et devint
prêtre dans le diocèse de Liège en 1897. Il reçut d'abord une
humble mission : surveillant dans un petit séminaire. Nous
sommes à la fin du XIXe siècle, avec deux problèmes pour les
chrétiens : la question sociale et les débuts de la
déchristianisation de la classe ouvrière. L'évêque de Liège
était alors Mgr Doutreloux, un prélat sensible aux problèmes
sociaux de l'époque. Nous sommes aussi à l'époque de Léon XIII et
de Rerum Novarum. L'abbé Beauduin, avec sa ferveur personnelle,
était lui aussi sensible à ce problème de la déchristianisation.
Son cœur d'apôtre lui inspirait de se donner à l'apostolat des
masses, menacées par le socialisme. Cette sensibilité à la
déchristianisation lui restera toute sa vie, et il lui apportera
trois réponses successives, différentes mais complémentaires :
sociale, liturgique, unioniste. Il vivra sa vie de prêtre en
harmonie avec les options pastorales de l’Église de son temps. Il
dira de lui qu'il avait été social avec Léon XIII, liturgique avec
Pie X, et unioniste avec Pie XI. Mais toujours avec ce souci
d'évangéliser le monde, d'amener les âmes au Christ. Réponse
sociale donc, dans un premier temps. En 1899 il décida de s’agréger
à une toute nouvelle congrégation de prêtres : les Aumôniers du
travail. Cette petite société, créée au pays de Liège, se
consacrait à l'apostolat en milieu ouvrier. En ce temps-là, des
jeunes gens venaient de la campagne pour travailler dans l'industrie
et étaient livrés à eux-mêmes et aux dangers de la ville. Les
aumôniers du travail créèrent pour eux des foyers d'accueil, afin
de les encadrer et de leur fournir un accompagnement spirituel.
L'abbé Octave Beauduin œuvrera dans cet apostolat sept années
durant.
Entrée dans la vie bénédictine
En 1906, pour des raisons mal connues, peut-être liées
à la venue d'un nouvel évêque à Liège, il change complètement
d'orientation. Il décide de se faire bénédictin et entre à
l'abbaye prestigieuse du Mont-César à Louvain. Il reçoit le nom
monastique de Lambert. Dans les premiers temps de sa vie monastique,
il fit une expérience, qu'on peut qualifier de mystique. C'était
durant l'office choral qu'un jour, il perçut que l’Église était,
dans la réalité profonde de son mystère, l'épouse du Christ,
adorant et louant son Seigneur. Il saisit aussi que ce mystère
bouleversant, l’Église le vivait d'abord dans l'action liturgique.
Jusque là, comme quasi tous les prêtres de paroisse, il n’avait
vu dans la liturgie qu’une « série de prescriptions minutieuses
et arbitraires imposées, croirait-on, pour exercer la patience de
ceux qui les étudient et les accomplissent ». Dans son
attention portée au drame de la déchristianisation, Beauduin comprit
qu'il ne s'agissait pas d'abord d'une situation liée aux injustices
sociales, mais de quelque chose de plus ancien et de plus profond, à
savoir l'éloignement du peuple chrétien par rapport à la liturgie
de l’Église. Il fallait qu'au plus vite les fidèles retrouvassent
les sources vives de la liturgie. En 1909, il lança donc le
mouvement liturgique belge. Beaucoup de curés et de vicaires de
paroisse, plus fervents les uns que les autres, adhérèrent au
mouvement. Ce mouvement cherchait, notamment par l'édition de
brochures, à favoriser une participation intelligente et active au
culte liturgique. Sans le savoir, ils réalisaient ainsi ce que le
Concile Vatican II a prôné dans sa constitution Sacrosanctum
Concilium. La grand messe paroissiale du dimanche devenaient ainsi le
centre vivant et rayonnant de toute la semaine chrétienne. Beauduin écrivit aussi à cette époque son best- seller, La Piété
liturgique, dans lequel il développait ses idées en la matière. La
liturgie devait retrouver la première place dans la piété
catholique, afin d'éviter un certain dessèchement ou la mièvrerie.
Bien sûr dom Lambert ne s'opposait nullement à l'oraison personnelle ni aux
dévotions particulières. Toute sa vie il restera fidèle au rosaire
et au chemin de croix. Mais il voulait retrouver un certain équilibre
spirituel et ecclésial, en aidant les fidèles à retrouver les
sources vives de la liturgie.
Séjour en Angleterre
Pendant la guerre de 1914-1918,
Beauduin fit de la résistance et dut se cacher. Il dut fuir enfin en
Angleterre et ce sera pour lui l'occasion de nouvelles expériences.
Il va en effet découvrir dans ce pays l’Église anglicane. Lui qui
avait toujours vécu dans un pays massivement catholique, il va
découvrir pour la première fois des chrétiens séparés de Rome.
L’Église d'Angleterre : une Église avec sa magnifique liturgie et
sa riche tradition spirituelle, une Église aussi avec en son sein un
puissant courant de nostalgie catholique, un besoin de retrouver les
racines anciennes, du temps où cette Église vivait encore en
communion avec Rome et par là avec l’Église indivise des Pères.
Découverte de l'orient
La Paix revint et dom Lambert fut envoyé à Rome comme professeur
d'ecclésiologie (1921-1925). Là il va aller à la rencontre de
l'Orient chrétien. Nouvelle révélation ! Toute cette tradition de
l'orient, des Pères grecs, la beauté de la liturgie et la ferveur
du monachisme. Il fera un voyage en Terre Sainte. Il visitera
l'Ukraine et se liera d'amitié avec un grand prélat catholique
oriental, le métropolite de Lwow, André Sceptitsky. Il fera une
expérience bouleversante. Le soir d'un 24 mars, il se rendra à la
Laure orthodoxe de Potchaiev pour y assister aux vigiles de
l'annonciation. Il sera ému par la piété des fidèles orthodoxes.
Ainsi donc une vraie vie spirituelle existait en dehors des
frontières visibles de l’Église romaine. Non seulement une vie
spirituelle mais une authentique sainteté. Lambert Beauduin connut ainsi la
hantise de l'unité de l’Église. Notre-Seigneur, au moment de
partir vers sa passion, en ce moment suprême, avait prié pour
l'unité. Qu'ils soient un afin que le monde croie. Or cette unité
avait été perdue par notre faute, au cours de l'histoire. Cela
n'expliquait-il pas l'incroyance et la déchristianisation ? Ainsi
donc à ce problème, naît chez Lambert Beauduin une nouvelle réponse, un nouveau
défi : celui de l'unionisme, comme on disait alors, ou si vous
préférez celui de l’œcuménisme, pour utiliser un terme
d'aujourd'hui.
Le prieuré de l'union des Eglises
Il
va être ainsi à l'origine du prieuré de l'union à Amay. Le pape
Pie XI avait en 1925 demandé à l'ordre bénédictin de s'engager en
faveur de l'unité des chrétiens et de s'investir dans l'apostolat
vis- à-vis des chrétiens d'orient. Il reprenait ainsi une intuition
de Léon XIII. Par son ancienneté, par sa règle qui datait de
l'époque de l’Église indivise, d'avant la séparation de 1054,
l'ordre de saint Benoît était considéré comme mieux à même de
travailler dans ce secteur. Le prieuré fondé en 1925 sera une
réponse à l'appel du pape. Il aura les caractéristiques
essentielles suivantes, qui sont encore celles de Chevetogne : une
communauté bénédictine, donc catholique, qui prie et travaille
pour l'unité et en particulier pour la réconciliation entre
l'orient et l'occident ; une communauté bi-rituelle, avec le rite
romain et le rite byzantin ; une communauté qui n'a pas de dessein
de prosélytisme vis-à-vis des orientaux, mais qui cherchera plutôt
à faire connaître chez nous les richesses de la liturgie et de la
spiritualité orientale. La nouvelle communauté se voudra
donc comme un pont entre l'orient et l'occident. Son travail pour
l'unité se fera essentiellement sur le mode monastique. L'essentiel
sera donc la prière et l'étude. Il ne s'agira donc pas d'une sorte
de diplomatie œcuménique, mais d'une vie de prière et d'accueil de
l'autre, en qui le Christ est présent. Ce que Notre Père Saint Benoît dit de l'accueil
de l'hôte sera donc vécu principalement par l'ouverture aux frères
séparés. La célébration liturgique est donc au cœur de
cette communauté. La liturgie est en effet le cœur de l’Église.
Cela est particulièrement vrai chez les orthodoxes. La liturgie
byzantine est le cœur et l'expression de l'âme de l’Église
orientale. En célébrant avec eux la liturgie orientale, les moines
de l'union apprennent à connaître de l'intérieur et à vivre en
communion avec nos frères d'orient. Si le manque d'amour et
l'ignorance mutuelle furent cause de la division, la charité et la
connaissance de l'autre favoriseront l'union des cœurs et le chemin
vers un retour à la pleine unité visible. L'existence du rite
byzantin à Amay-Chevetogne n'est donc pas liée à un dessein
missionnaire ou pastoral, mais à une recherche de l'unité. Bien
souvent les moines de dom Lambert ont pu faire l'expérience d'une véritable
sympathie à leur égard de la part de nombreux orientaux, qui voyaient en
eux des amis sincères de l'orient. Je suis persuadé que cela est dû
au fait que l'âme monastique des moines du prieuré de l'union est
vraiment façonnée par la pratique du rite oriental.
Difficultés
Il y eut
dans la jeune communauté très vite des problèmes, dus à un
profond malentendu. Il faut savoir que cette œuvre nouvelle,
approuvée par le Saint-Siège, fut dans un premier temps rattachée à
la Commission pro Russia, présidée à Rome par un homme de
confiance du pape, le jésuite Mgr d'Herbigny. Dans les milieux
romains, on croyait à tort que le bolchevisme s'effondrerait
rapidement en Russie et que cet immense pays, devenu un désert
spirituel, serait assez vite ouvert à un retour vers le
catholicisme. Hélas, le communisme allait durer 70 ans en Russie.
D'autre part la suite a montré que la conscience d'une identité
orthodoxe était au cœur de la société russe. Nous savons
maintenant que la promesse de la mère de Dieu à Fatima s'est
réalisée. La Russie est maintenant un pays chrétien, et alors que
nos pays occidentaux sont de plus en plus marqués par une certaine
christianophobie, la Russie défend de plus en plus les valeurs
chrétiennes, notamment dans les questions éthiques. Il y a quelques
semaines, on a pu voir cette coïncidence symbolique entre deux faits
de l'actualité : le jour où le pape François et le président
Poutine vénéraient ensemble une icône au Vatican, les États-Unis
annonçaient qu'ils fermaient leur ambassade près le Saint-Siège. (Note: à l'époque où je parlais, il s'agissait d'une possibilité, mais elle ne s'est pas confirmée dans la suite. Les journalistes avaient encore parlé trop vite)
Mgr d'Herbigny voulait donc dans le contexte de ce temps faire du
nouveau prieuré une maison de formation de missionnaires pour
l'évangélisation de la Russie. Tel n'était pas du tout l'idée de
dom Lambert, dont les perspectives n'étaient pas missionnaires mais
unionistes. Les vues de dom Lambert étaient même beaucoup plus larges, que
la question orientale. Il songeait à l'unité de tous les chrétiens.
Souvenons-nous de son séjour en Angleterre. Or c'est au moment de la
création d'Amay qu'eurent lieu en Belgique les Conversations de
Malines entre catholiques et anglicans. Beauduin rédigea alors son mémoire
sur l’Église anglicane, unie et non absorbée. Toujours la même
idée : unité de tous les chrétiens dans la foi et la communion
sacramentelle, mais dans le respect des diversités liturgiques,
théologiques et spirituelles. Avec une certaine dose de naïveté,
on croyait assez rapidement possible le retour à l'unité. Avec le
recul du temps, nous constatons hélas que dans la suite, avec les
évolutions actuelles de la communion anglicane, le fossé s'est
élargi entre Rome et Cantorbéry et que le retour à la communion
est une perspective fort lointaine.
Vir Dei et Ecclesiae
Je vais omettre de vous
raconter les péripéties de la vie de dom Lambert à partir des années 30,
car j'ai dit l'essentiel pour comprendre le Chevetogne d'aujourd'hui.
Je résume les faits. Sanctionné par Rome, il préférera, pour
sauver sa communauté, accepter le chemin de l'exil. L’exil ouvrira
au Père Lambert un nouveau champ d’action. Dans le silence austère
de l’abbaye d’En-Calcat tout d’abord, où il impressionnera ses
confrères par son enseignement et par le sérieux qu’il mettra à
pratiquer la vie monastique. Ensuite, pendant dix-sept ans, il
sillonnera la France, diffusant une spiritualité pascale, trinitaire
et ecclésiale, perspectives insolites à l’époque, portant ainsi
à maturité l’impulsion reçue de son maître dom Columba Marmion.
Il envisagera aussi le rôle que les monastères pourraient exercer
au service de la pastorale locale. Il se rendra également plusieurs
fois en Grande Bretagne. Travailleur infatigable et grand épistolier,
aumônier de communautés religieuses, prédicateur de retraites,
homme de contacts, il était tout à son interlocuteur, éveillant ce
qu’il y a de meilleur en lui.
En 1951, à l’âge de 78 ans,
Beauduin pourra prendre place discrètement à l’hôtellerie de son
monastère, qu’il avait dû quitter près de vingt-trois ans plus
tôt. Il y décédera le 11 janvier 1960, entouré des siens et
officieusement réhabilité par Rome. Le P. Lambert, vir Dei et
ecclesiae, comme on l'a si bien écrit de lui, inscription reprise sur la croix planté sur sa tombe, sanctionné par
l’Église en son temps et maintenant vu comme un prophète. Il
considéra toujours l’Église comme sa mère et obéit d'une façon
héroïque, avec beaucoup d'humour en même temps. Il ne fut pas puni
pour un délit canonique, car on ne pouvait rien lui reprocher au
niveau de son orthodoxie ou de sa vie morale. Ce fut une sanction
administrative qui l'envoya en exil. Il dérangeait en effet le
conformisme et la routine. Sans remonter à Jeanne d'Arc, signalons
d'autres cas au XXe siècle : sœur Faustine, canonisée par
Jean-Paul II, et dont les écrits avaient été mis à l'index par le
Saint-Office ; ou le Padre Pio, suspect a maint autorités durant sa
vie, même aux yeux du bon pape Jean ! Nous voyons donc que la
sainteté n'exclut pas des problèmes avec le côté humain de
l’Église.
La vie à Chevetogne aujourd'hui
La
communauté actuelle se compose de 26 moines de 9 nationalités
différentes et d'un oblat régulier orthodoxe russe, d’origine
juive. L'un de nos moines vit en ermitage. ( Actuellement, en juillet 2016: 27 moines, un novice, l'oblat régulier orthodoxe, l'ermite est venu revivre en communauté!) La vie liturgique est donc
basée sur l'existence de 2 décanies, latine et byzantine, chacune
comprenant plus ou moins le même nombre de frères. Le noviciat se
fait au rite latin, car la formation de base est bénédictine. Une
exception est prévue pour le novice qui serait canoniquement de par
son baptême de rite oriental. Outre les cours sur la règle, la
lectio divina et l'histoire de la spiritualité, le novice reçoit
une formation sur la liturgie orientale. Il apprend aussi le slavon,
langue officielle liturgique de l’Église russe. Le noviciat dure 2
ans. Le novice peut demander ou l'abbé imposer une période
supplémentaire de 6 mois. A la fin de ce noviciat a lieu la
profession perpétuelle simple. Elle est ratifiée en profession
solennelle, généralement 5 ans après, avec l'accord du séniorat. ( Ce n'est plus vrai actuellement: le chapitre a rétabli les vœux triennaux). Les profès simples sont membres du chapitre, mais n'ont pas voix
passive. Après la ratification, ils ont voix passive, peuvent donc
siéger au séniorat, être ordonnés diacre et prêtre. (Là aussi, le retour au droit commun a eu lieu: il y a des profès temporaires et des profès perpétuels). Au moment de
la profession simple, le nouveau moine, après discussion avec
l'abbé, opte pour le rite latin ou byzantin. Comme nous sommes tous
canoniquement bi-rituels, on peut aussi dans la suite changer de
décanies, si les besoins de la communauté l'exigent. Le
monastère a des constitutions propres, actuellement en révision( elles ont été approuvées cette année par la Saint-Siège). Il
ne fait partie d'aucune congrégation bénédictine, mais dépend
directement de la congrégation pour les Églises orientales à Rome.
Celle-ci nomme un abbé visiteur, actuellement dom Longeat de Ligugé.
Nous suivons le droit canon latin.
Parlons de la vie liturgique
à Chevetogne
Les offices ont lieu dans les deux rites au même
moment. Les hôtes ont donc le choix. Les offices latins sont les
laudes, sexte, vêpres et vigiles avec complies. Les offices
orientaux sont l'orthros, sexte, vêpres et complies. Les offices
latins sont en français avec chant modal, et partiellement en
grégorien et en latin, lors des mémoires obligatoires et des fêtes,
en ce qui concerne les antiennes, hymnes et répons. L'office
byzantin est en slavon, avec des parties en français. Pour
l'eucharistie, il n'y en n'a qu'une par jour. Le dimanche toute la
communauté se rassemble pour la liturgie de saint Jean Chrysostome.
Elle est célébrée en grec un dimanche sur deux. Une deuxième
liturgie orientale est célébrée l'un des jours de la semaine. Une
messe latine conventuelle est célébrée aussi l'un des jours de la
semaine, avec la présence des moines byzantins. Il y a donc trois
messes conventuelles par semaine, plus s'il y a des fêtes
particulières. Les autres jours on célèbre une messe latine non
chantée, le matin après le temps de la lectio divina. Ainsi, quel
que soit son rite, le moine de Chevetogne est sensé bien connaître
l'autre liturgie. Enfin l'un des moments les plus beaux de la
prière communautaire sont les vigiles byzantines solennelles du
samedi soir et des vigiles des grandes solennités. C'est un usage
orthodoxe russe, aussi bien monastique que paroissial, que ces
vigiles, qui durent presque 3 heures, et qui sont constituées des
grandes vêpres et des matines. La vigile du samedi soir, centrée
sur la résurrection, est une magnifique préparation à la liturgie
du lendemain.
Apostolat pour l'unité
Parlons maintenant de notre activité œcuménique.
Elle se vit essentiellement par l'accueil et l'étude. L’abbaye de
Chevetogne veut être un lieu de prière, de rencontre et de travail
théologique pour l’unité des chrétiens de toutes dénominations.
Nous accueillons toutes sortes d'hôtes. A commencer par les
catholiques, qui veulent découvrir le rite et la spiritualité
orientaux. Outre les offices, ils trouveront dans notre magasin
des CD enregistrés par notre chœur byzantin, de nombreux livres,
des icônes. Ensuite nous sommes heureux d'accueillir des chrétiens
d'autres confessions et d'avoir ainsi de fructueux échanges.
Irenikon
Notre apostolat intellectuel se concrétise d'abord par la revue
Irénikon. Irénikon, revue œcuménique trimestrielle des moines de
Chevetogne, est intimement liée à la fondation et à l’histoire
du monastère. Depuis presque huit décennies, elle offre des études
historiques, théologiques, spirituelles ou monastiques afin de
mettre en commun les richesses de la Tradition dont vivent toutes les
églises d’Orient et d’Occident et de promouvoir ainsi une estime
réciproque, premier pas vers un dialogue sérieux entre Églises.
Dans une chronique unique en son genre, Irénikon informe également
chaque trimestre ses lecteurs des événements qui ont marqué la vie
des différentes églises et des dialogues ou rencontres officielles
entre Églises.En outre, un éditorial et des recensions d’ouvrages
récemment parus rendent compte de l’actualité œcuménique et
théologique. Irénikon paraît tous les trois mois.
Actualité
œcuménique (début de la seconde partie de la conférence)
Dans
cette troisième partie de mon exposé, je voudrais évoquer
l'actualité œcuménique. Où en est- on pour le moment ? Après une
période d'euphorie et d'espoirs immenses, il semble un peu qu'on
traverse le désert. Après le printemps, le gel semble être revenu.
Ne dramatisons pas et considérons quand même les résultats obtenus
et le chemin parcouru. D'autre part, il ne faut pas séparer la crise
actuelle du travail pour l'unité de la crise spirituelle globale de
nos sociétés occidentales. Les églises sont vides, les assemblées
de plus en plus vieillissantes. L’œcuménisme n'est donc plus une
priorité semble-t-il. L'évangélisation serait dans ce contexte une
tâche plus urgente. Quand il lança le mouvement liturgique, quand
il s'embarqua dans l'aventure unioniste, dom Lambert vivait dans une Belgique,
massivement catholique pratiquante, avec des références communes
solides. Nous nous vivons dans le contexte de la sécularisation,
voire de l'apostasie généralisée. Il n'en reste pas moins que dans
le contexte de la nouvelle évangélisation, le travail pour l'unité
garde toute sa valeur. Résonne ainsi la parole du Christ : Qu'ils
soient un afin que le monde croie.
A suivre
Très belle conférence ! Merci de l'avoir partagée !
RépondreSupprimerUne question cependant: vous parlez de relativisme; pensez-vous que Chevetogne échappe à ce travers ? Pensez-vous que ce fut aussi le cas de Dom Lambert ?
Je m'explique: il me semble que ce dernier avait une conception, disons, "large" de l'Eglise. Celle-ci se trouverait finalement aussi bien dans les communautés protestantes que dans l'Eglise catholique, ou dans l'orthodoxie... Or il est évident que pour un catholique, cette proposition est inadmissible: "L'Eglise du Christ subsiste dans (subsistit in) l'Eglise catholique" (Lumen Gentium).
Or, beaucoup de personnes impliquées dans l'oecuménisme (ce qui est très louable par ailleurs) semblent partager cette position. Est-ce le cas de votre monastère ? De votre fondateur ?
Soyez dans tous les cas remercié de votre travail sur ce blogue; c'est toujours un plaisir que de vous lire.
Il faut bien avouer que le relativisme est présent un peu partout aujourd'hui. Je ne sais ce que dirait le P. Lambert de nos jours. Il est mort avant le concile. Je suppose qu'il adopterait l'enseignement du concile. L'Eglise du Christ subsiste dans l'Eglise catholique. Dans les communautés séparées il existe des éléments de vérité et de sanctification. Il y a donc une communion partielle entre ces chrétiens séparés et nous. Les orthodoxes et les protestants ne peuvent être mis sur le même plan que les non-chrétiens. En son temps il a développé des conceptions très larges, mais je pense sans tomber dans le relativisme actuel. Il a toujours voulu être un fils de l'Eglise. Cela ne veut pas dire qu'il a eu toujours raison.
SupprimerPar exemple il a été enthousiaste pour les conversations de Malines. Mais que penserait-il de l'évolution actuelle des anglicans? L'unité entre catholiques et anglicans semble de nos jours bien compromise
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