Le chant du Suscipe lors d'un jubilé de 50 ans de profession |
Un
rite de profession monastique particulièrement signifiant:
L'engagement
d'un jeune moine au monastère de Chevetogne.
Introduction et apologie
Le
lecteur voudra bien me pardonner de mettre ainsi en valeur une
manière locale d'émettre la profession religieuse, comme on le
fait depuis 1971, au monastère bénédictin de Chevetogne, quand ce
nouveau rituel a remplacé l'ancien en latin. Ce qui a poussé la
communauté à enrichir le rite traditionnel des vœux vaut la peine
d'être connu. On a maintenu ce que Saint Benoît prescrit: la
signature de la charte et le chant du Suscipe,
et d'autres choses habituelles. Mais on a embelli ce rituel
d'éléments nouveaux, pour dépasser les aspects juridiques de la
mentalité latine, et replacer le mystère de la vocation dans une
perspective biblique. Cela n'est nullement absent dans les autres
communautés, et sans doute que des efforts parallèles ont été
réalisés en beaucoup d'endroits. Ce qui demeure vrai, c'est que
jusqu'au renouveau liturgique de Vatican II, les usages concernant la
profession étaient souvent empreints d'une sécheresse
juridique qui mettait de côté toute une profondeur spirituelle
vécue par ailleurs par ceux qui s'engageaient ainsi pour la vie.
La
dimension communautaire, terrestre et céleste
La
profession monastique se célèbre au cours de l'eucharistie. Cela
signifie trois choses essentielles. D'abord la participation à
l'offrande du Seigneur que constitue la profession. Ensuite le fait
que cette profession est l'entrée dans une communauté qui accueille
un candidat pour lui offrir ce qu'il a demandé le jour de son entrée
au noviciat: Je demande
la miséricorde de Dieu et de vivre en frère parmi vous.
Pendant le rite de profession, les moines ne restent pas dans leurs
stalles mais forment une couronne autour du candidat qui est devant
l'autel et face au Père Abbé. Enfin, il y a la présence invisible
des saints, dont on a déposé les reliques devant l'autel et que
l'on invoque en chantant, tous à genoux, les litanies des saints.
Prière de l'Abbé et de la
communauté
Ces
litanies
se concluent par une série d'intercessions du Père abbé, qui ont
l'aspect d'une bénédiction, pour que soient répandus les fruits de
l'Esprit dans l'âme du frère, afin qu'il mène une vie paisible,
joyeuse et généreuse, dans la pratique des vertus (humilité,
patience, sagesse, compassion etc.). A chaque demande, énoncée
brièvement par le Père Abbé, les moines répondent Amen.
Le sens de ces deux rites d'entrée est assez clair: c'est soutenu
par la prière de ses frères du ciel et de la terre que le candidat
va pouvoir s'engager à vivre en toute sa profondeur sa vocation.
La
charte de profession
Le
jour avant, le candidat a écrit sur une charte son engagement à
vivre la conversion des mœurs, l'obéissance et la stabilité dans
la communauté, l'essence des vœux selon la Règle de Saint Benoît.
Mais il n'a rien signé. Maintenant debout il lit cette charte à
haute voix devant tous, monte à l'autel pour y apposer sa signature,
redescend dans la nef et montre sa charte à chacun des moines. Tout
cela se fait en silence. Enfin il dépose sa charte au centre de
l'autel. On célébrera l'eucharistie avec le pain et vin déposés
sur la charte afin de sceller l'unité de la consécration monastique
et de l'offrande sacrificielle du Fils au Père éternel.
L'offrande de toute sa vie à
Dieu
Le
jeune profès revient au milieu de ses frères pour chanter trois
fois, en élevant les bras dans un geste d'offrande et sur un ton
toujours plus haut le Suscipe:
Suscipe me , Domine, secundum eloquium tuum et vivam
Et non confundas me ab expectatione mea.
(Reçois-moi,
Seigneur, selon ta Parole et je vivrai; ne fais pas honte à mon
attente).
La communauté s'associe en chantant à chaque reprise le même
verset. Cinquante ans plus tard le jour de son jubilé, le vieux
moine chantera à nouveau, ce qui est particulièrement émouvant, le
Suscipe, comme il le fit au début de sa vie de consacré. Notons que
cette offrande à Dieu de toute la personne est surtout un acte de
confiance et d'espérance en Dieu. Ici aussi l'accent est mis non sur
la force humaine mais sur la divine miséricorde.
Mort
et résurrection
Le
profès se prosterne, et on chante: Je
suis mort et ma vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu.
Le diacre dit ensuite au profès: Lève-toi,
o toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ
t'illuminera.
La profession, nouveau baptême, est une configuration au mystère
de la mort et de la résurrection du Christ.
La
dimension eucharistique
Le
Père Abbé va alors prononcer sur le moine qui s'est agenouillé
devant lui l'équivalent de la préface à la prière eucharistique:
une action de grâce qui est aussi une anamnèse, un mémorial de ce
que Dieu a opéré dans l'histoire du salut et qui se perpétue
aujourd'hui dans la réponse qu'un homme donne à l'appel du
Seigneur. Car le mémorial dont il s'agit est centré sur le mystère
de la vocation, d'un Dieu qui appelle des hommes parce qu'il a besoin
d'eux pour sauver l'humanité. Jésus dit dans l'Évangile pourquoi
il appelle: Venez à ma
suite et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes.
Dieu a besoin de nous. Nous avons tous une vocation à faire quelque
chose pour nos frères, non pas tout, ni n'importe quoi, mais quelque
chose. Dieu se sert toujours des médiations humaines.
Une
vieille histoire raconte que deux prêtres dans un monastère
célébraient chaque jour ensemble la liturgie. L'un d'eux faisait
toujours une faute dans la manière de célébrer, ce qui mettait
l'autre intérieurement en colère. A la fin, ce dernier s'en prit à
Dieu: Tu devrais
envoyer un ange pour dire à ce confrère qu'il se trompe à la
messe.
Mais Dieu répondit: Tu
es son frère. Je t'ai donné une langue. C'est à toi et à toi seul
de le corriger.
Dieu appelle, a besoin de nous, compte sur mous.
Dans
la prière d'action de grâce dont nous parlons ici, on évoque 4
personnages bibliques, qui mettent chacun à leur tour un élément
essentiel de ce qu'est une vocation. Ces 4 personnages sont: Abraham,
Moïse, Élie, Jean-Baptiste.
Abraham
est celui qui a quitté sa parenté et sa maison pour aller vers le
pays de Dieu. Il est le modèle par excellence de la foi et de
l'espérance en la réalisation des promesses de Dieu.
Moïse
a été appelé pour délivrer le peuple de l'esclavage et lui faire
connaître qui était son vrai Dieu, un Dieu de tendresse et de
miséricorde. Moïse parlait avec Dieu face à face comme un ami avec
son ami. Moïse était la douceur même et au début de sa vocation
il était même timide. Il est devenu par excellence le modèle de la
vie contemplative.
Élie,
qui brûlait de zèle pour le vrai Dieu, finit par comprendre que
Dieu était davantage présent dans le murmure de la brise que dans
la force de l'ouragan.
Enfin
il y eut Jean-Baptiste: celui qui fut le témoin du Christ et le
révéla à ses disciples. Il est le modèle de l'effacement: Il
faut que je diminue pour que le Christ grandisse.
Nous
avons ainsi les traits essentiels de toute vocation. Il faut quitter
son passé (Abraham) pour mener une vie de recherche de Dieu dans
l'écoute d'un face à face qui adoucit l'âme (Moïse) mais en même
temps la remplit d'une énergie sainte (Élie) pour être témoin du
Christ et ne plus vivre que pour la venue du règne de Dieu
(Jean-Baptiste).
Le
modèle et la source de toute vocation c'est Jésus-Christ lui-même,
le Fils qui s'est fait obéissant jusqu'à la mort. Une obéissance
qui est un abandon de confiance totale en Dieu et un amour qui va
jusqu'au don plénier. Celui que Dieu appelle n'est pas seulement un
témoin neutre, il est appelé à devenir un autre Christ, alter
Christus.
On
voit que cela dépasse les pauvres forces humaines et c'est pour
cette raison que cette anamnèse va se conclure par une invocation au
Saint-Esprit, pour qu'il réalise aujourd'hui les mêmes merveilles
que celles qu'Il a opérées dans l'histoire du salut.
La
dimension épiclétique
L'une
des erreurs de perspective les plus courantes, lorsqu'on parle de la
profession religieuse, est de mettre l'accent, principalement voire
exclusivement, sur ce que l'homme fait: se donner, se consacrer à
Dieu pour tout le reste de son existence. On oublie ainsi ce que Dieu
fait. Or l'initiative revient au Seigneur, la réponse est du côté
de l'homme. Il faudrait donc plutôt parler de Dieu qui consacre, qui
met à part, qui se réserve quelqu'un pour Lui. Dans cette
perspective, le rituel proposé accorde une grande place à
l'épiclèse, c'est-à-dire à l'invocation du Saint-Esprit, pour
qu'il vienne sur le candidat et le consacre Lui-même au service de
Dieu. Ainsi, le vie monastique, au lieu d'être un ensemble
d'obligations à tenir coûte que coûte de la part de l'homme, est
d'abord une œuvre que Dieu réalise par sa grâce dans la vie d'un
être humain qui a accepté une fois pour toutes de se laisser faire
par son Seigneur.
Vers
la fin de la prière d'action de grâce pour ces grands témoins de
l'appel de Dieu que furent Abraham, Moïse, Élie, Jean-Baptiste et
Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, le Père Abbé étend les
mains sur le jeune moine, comme on le ferait sur le pain et le vin de
l'eucharistie, et invoque la venue du Saint-Esprit sur le frère qui
se présente devant toi, afin
qu'en suivant le Christ, il devienne l'homme nouveau,
reflet de ta sainteté et de ton amour.
L'Esprit-Saint ainsi invoqué
descend sur le jeune profès et le consacre à Dieu. Tout est conçu
selon un parallélisme avec l'ordination à un ministère d'Église,
bien que ce ne soit pas une ordination sacramentelle théologiquement
parlant. Du moins cette manière de faire met en relief que
l'essentiel dans une profession monastique est bien l'action de la
grâce divine qui purifie, sanctifie, consacre et transforme un
baptisé au plus profond de son être.
Accueil dans la communauté
Le
jeune moine reçoit la coule monastique et va ensuite échanger le
baiser de paix avec le Père Abbé et chacun de ses nouveaux
confrères. Il dit chaque fois: Père,
priez pour moi.
Et l'ancien répond: Que
le Seigneur te bénisse.
Ainsi sont scellées à la fois la consécration monastique et
l'entrée définitive dans une communauté de vie. La liturgie se
poursuit par l'offertoire de la messe.
Cela semble magnifique !
RépondreSupprimerCependant, il s'agit des vœux solennels dans le rit romain. Est-ce la même chose pour le rit byzantin à Chevetogne ?
A Chevetogne,la profession se fait toujours au rite latin, sauf les rares cas où le moine serait lui-même byzantin par son baptême. La profession en rite oriental est elle aussi de toute beauté
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