Le 14 septembre 2017, Dom Jean Pateau, abbé de Fontgombault, a donné à Rome une conférence sur les fruits de grâce pour la vie monastique et sacerdotale du motu proprio Summorum Pontificum. Je la reproduis ici, avec en italiques, mes commentaires personnels, qui sont ceux d'un moine qui assiste souvent à la liturgie byzantine de Saint Jean Chrysostome.
Dans le domaine délicat de la liturgie où les susceptibilités sont en éveil, le sujet de cet entretien comporte un avantage. Dégagé de toute idéologie, il se veut résolument pragmatique. Le paysan, alors qu’il sème une graine, peut avoir une idéologie… quand il récolte, il n’en va plus de même. L’idéologie au contact du réel, de la nature, a contribué à la naissance d’un fruit. Un fruit qu’il peut cueillir ; un fruit qui peut être beau, maigre, parfois absent.
Il y a 10 ans, le Pape Benoît XVI a réalisé un projet mûri dès les premiers temps de sa charge de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi : redonner un statut officiel au Missel de 1962 à travers la promulgation du motu proprio Summorum Pontificum.
Mettons-nous humblement au service non de nos propres pensées, mais de l’Église, et plus particulièrement de sa liturgie, en considérant les fruits de ce document pour l’Église universelle.
Dans un premier temps, je voudrais évoquer l’histoire liturgique de l’abbaye de Fontgombault en guise d’état des lieux.
Des réflexions suivront sur les fruits du document pontifical selon les points de vue du rite et de l’Église.
Historique
Dom Jean Roy, abbé de Notre-Dame de Fontgombault de 1962 à 1977, accueillit de bonne grâce le petit train de réformes de l’Ordo Missæ en 1965. Ce n’est pas cependant sans quelques appréhensions qu’il suivit la fermentation qui devait aboutir en 1969 à la promulgation d’un nouvel Ordo Missæ dont il perçut à la fois les qualités et les limites.
Fidèle au principe de ne rien dire qui ne soit théologiquement certain, ni faire qui ne soit canoniquement en règle, et contre de nombreuses et fortes pressions, le Père Abbé maintint l’usage du missel tridentin jusqu’à la fin de l’année 1974.
Selon le document de promulgation du nouveau Missel, celui-ci devenait obligatoire dès que les conférences épiscopales auraient obtenu l’approbation de la traduction. C’était le cas en cette fin d’année. Le Père Abbé obtempéra, non sans réticences, mais en considérant que des moines ne devaient pas même donner l’impression de désobéir. Plus tard, il dira que sa décision relevait plus de la prudence que de l’obéissance, car il n’était pas certain que le nouveau missel était obligatoire et que le missel tridentin était légitimement interdit. L’avenir montrera que son doute était justifié.
Mon commentaire: il semble en effet que la bulle Quo primum tempore du pape saint Pie V disait que tout prêtre pourrait toujours célébrer selon le missel qu'il promulguait. Les missels existant depuis plus de 200 ans pouvaient continuer à être employés, comme par exemple les missels lyonnais, ambrosien, dominicain et cartusien. Le curé d'Ars célébrait la messe selon le rite lyonnais. L'Eglise peut modifier la liturgie, sauf pour ce qui a été établi par le Seigneur. La promulgation d'un nouveau missel était donc légitime en soi. Mais on ne pouvait interdire le missel de saint Pie V.
Le Père Abbé recommanda aux prêtres de l’abbaye de conserver dans la célébration des saints mystères les dispositions de piété, de respect, de sens du sacré qu’ils avaient acquises à l’école du missel tridentin.
Mon commentaire: Un prêtre qui connaît bien le missel traditionnel et qui l'aime ne peut pas célébrer n'importe comment dans la forme ordinaire. Il en est de même d'un prêtre ouvert à la liturgie orientale.
C’est dans ce climat liturgique pesant que le Père Abbé a achevé sa vie lors d’un Congresso bénédictin à Rome en 1977 ; vie sans doute abrégée, au moins partiellement, par la lutte qu’il n’a cessé de mener pour la défense de la Sainte Église et de sa Tradition.
Par la lettre circulaire aux conférences épiscopales, Quattuor abhinc annos du 3 octobre 1984, la Congrégation pour le Culte divin faisait écho au désir du Souverain Pontife saint JeanPaul II de donner satisfaction aux prêtres et aux fidèles désireux de célébrer selon le missel romain édité en 1962. À partir de la fête de l’Annonciation de 1985, les prêtres du monastère, à condition d’en faire personnellement la demande à l’ordinaire du lieu, reçurent la permission de dire la moitié des Messes de la semaine selon ce missel.
à suivre
C’est dans ce climat liturgique pesant que le Père Abbé a achevé sa vie lors d’un Congresso bénédictin à Rome en 1977 ; vie sans doute abrégée, au moins partiellement, par la lutte qu’il n’a cessé de mener pour la défense de la Sainte Église et de sa Tradition.
Par la lettre circulaire aux conférences épiscopales, Quattuor abhinc annos du 3 octobre 1984, la Congrégation pour le Culte divin faisait écho au désir du Souverain Pontife saint JeanPaul II de donner satisfaction aux prêtres et aux fidèles désireux de célébrer selon le missel romain édité en 1962. À partir de la fête de l’Annonciation de 1985, les prêtres du monastère, à condition d’en faire personnellement la demande à l’ordinaire du lieu, reçurent la permission de dire la moitié des Messes de la semaine selon ce missel.
à suivre
Je réponds sur "Quo Primum". En soi, ce document interdit toute modification du missel et donne le droit de célébrer selon ce missel sans rien y changer. Or, il y eut de nombreux changements dans le missel entre 1570 et 1970. Ceux qui se réclament de ce texte, pour être cohérents avec eux-mêmes, devraient célébrer exclusivement selon le missel promulgué en 1570 (et donc sans les fêtes du Christ-Roi, de l'Assomption, de l'Immaculée Conception, etc.). Ce n'est donc pas au nom de ce texte que le missel de S. Pie V ne pouvait être abrogé.
RépondreSupprimerEn revanche, il est exact que Paul VI n'a pas abrogé le Missel de S. Pie V, puisqu'il le conserve pour certaines circonstances (prêtres âgés, indults...), qui furent élargies par Jean-Paul II (Quattuor Abhinc annos, Ecclesia Dei adflicta) puis par Benoit XVI (Summorum Pontificum).
Je soumets cette réflexion à votre jugement.
Au passage, je suis un peu gêné par l'appellation "Messe traditionnelle". Au contraire, je pense avec S. Jean-Paul II que "la réforme liturgique est totalement traditionnelle ad normam Sanctorum Patrum".
Il faut distinguer le missel et le calendrier. En faisant éditer le missel romain, Pie V savait évidemment que dans la suite de l'histoire il y aurait de nouvelles canonisations de saints et de nouvelles fêtes. Il s'agit de nouveautés dans le cadre d'un même système liturgique. Substantiellement le missel de 1962 est le même que le missel tridentin. Il est vrai que Paul VI a admis des exceptions à l'obligation de célébrer selon le nouvel ordo, mais elles étaient appelées à disparaître avec le temps, par le décès des prêtres âgés. Padre Pio avait obtenu une permission personnelles de garder l'ancien rite. Cependant on peut voir une vidéo de sa dernière, qu'il acélébrée face au peuple. Certains auteurs disent que Paul VI n'ayant pas explicitement abrogé les dispositions de qui primum, tous les prêtres avaient en soi le droit de célébrer selon l'ancien missel. Quant au terme de messe traditionnelle, cela signifie seulement chez moi selon le rite ancien. Mais il y a dans le nouvel ordo des éléments qui sont plus traditionnels que dans le missel tridentin, par exemple la prière universelle ou le baiser de paix, qui avaient disparu de la liturgie romaine
SupprimerJe vous remercie, mon révérend Père, de cette réponse.
RépondreSupprimerLes changements du missel de S. Pie V ne concernent pas seulement le calendrier. Je pense aussi aux prières léonines, au second confiteor (supprimé par Jean XXIII) et à la mention de S. Joseph dans le canon romain. Changements minimes, je vous l'accorde bien volontiers, mais changements tout de même. Or, Quo Primum avait interdit tout changement du Missel.
Par conséquent, on ne peut se réclamer de Quo Primum pour faire valoir la permission perpétuelle de célébrer selon le Missel de S. Pie V. En revanche, le fait que ce missel ait été conservé pour des cas exceptionnels montre bien qu'il n'a pas été abrogé, même s'il était effectivement appelé à disparaître dans la pensée de Paul VI.
Au passage, contrairement à une opinion couramment répandue, il est possible de célébrer face au peuple dans le missel de S. Jean XXIII. Quand au Padre Pio, il est mort en 1968, soit plus d'un an avant la promulgation du missel du Bx. Paul VI.
Vos remarques sur les enrichissements du missel de Paul VI sont tout à fait exactes.
J'admets tout à fait le bien-fondé de votre point de vue. Je fais cependant les remarques suivantes: les prières de Léon XIII se disaient après la messe et ne font pas ne soi partie du missel. Dans mon vieux missel de 1966, les deux confiteor sont toujours prévus. Je n'ai jamais entendu dire que Jean XXIII avait modifié les prières au bas de l'autel. Mais je suis peut-être mal informé. Les souvenirs des messes de mon enfance sont bien ceux d'un double confiteor. Or j'ai fait ma première communion en 1960 et ma profession de foi en 1966 et l'on disait bien deux gois le confiteor. Pie V, à mon sens, n'a pas voulu interdire à ses successeurs de faire des modifications. Il y en a eu plusieurs au cours de l'histoire, certaines même très rapidement. Il a interdit par contre aux subordonnés de faire de leur propre chef des modifications. Et les changements apportés dans la suite n'ont paru à personne illégitimes de la part du Saint-Siège. La messe face au peuple est possible dans le missel tridentin. Le concile de Trente n'avait pas réprouvé cette pratique. A l'abbaye de Leffe, on a célébré la messe face au peuple dès les années trente, si mes souvenirs sont bons, ainsi que dans quelques autres lieux. Enfin, pour padre Pio, ce qu'il avait demandé comme indult, c'était de continuer à dire tout en latin, à une époque ou en partie la messe était dite ailleurs en italien. Merci pour toutes vos remarques.
SupprimerExcusez mes fautes de frappe. En fait on ne saura jamais ce qu'aurait fait le padre Pio s'il avait vécu quelques années de plus. Comme prêtre âgé il aurait eu le droit de continuer à dire la messe tridentine en privé. Qu'aurait-il pensé de la communion dans la main? On ne le saura jamais. Il a de toute façon toujours fait montre d'une obéissance totale à l'autorité ecclésiastique.
SupprimerJe suis entièrement d'accord avec vous: S. Pie V n'a pas voulu interdire à ses successeurs de modifier son missel. C'est pourquoi personne n'a jamais considéré les réformes postérieures à S. Pie V comme illégitimes.
SupprimerPar les exemples que j'ai pris, je voulais seulement montrer que l'on ne peut pas se baser sur Quo Primum pour affirmer que Paul VI n'avait pas le droit de réviser le missel de son prédécesseur. L'interdiction ne visait que les fidèles ou les clercs, jamais les papes.
Cela étant dit, je me réjouis du Motu proprio "Summorum Pontificum". Et les idées contenues dans cette conférence sont plus qu'intéressantes. En effet, il serait intéressant d'enrichir la forme ordinaire par l'offertoire et les gestes de la forme extraordinaire.
Pour ce qui est de l'enrichissement inverse, je soumets à votre appréciation cet article que j'ai traduit sur mon blogue: http://reflexioncatholiques.over-blog.com/2017/05/comment-la-forme-ordinaire-de-la-messe-peut-enrichir-la-forme-extraordinaire.html
Merci. Je vais regarder votre blog
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