Parabole du serviteur impitoyable, Claude Vignon, 1629 |
Au
cœur de l'évangile de ce dimanche se trouvent les thèmes
fondamentaux du pardon et de la miséricorde. Pardon reçu et pardon
donné. Nous sommes tous l'objet de la miséricorde divine et nous
devons être des artisans de la miséricorde. Saint Alphonse
proposait à ses enfants spirituels cette courte prière d'humilité
et de contrition à dire au début de la méditation : Seigneur,
j'ai mérité l'enfer par tous mes péchés. O Bonté infinie, je me
repens du fond du cœur de t'avoir offensée. Nous
avons mérité l'enfer et si nous sommes sur le chemin du salut
éternel, c'est parce que Dieu, dans sa bonté infinie, nous a fait
une surabondante miséricorde. Dieu, dit le pape François, ne se
lasse jamais de pardonner, c'est nous qui nous lassons de demander
pardon. Si nous avons conscience de la grandeur du pardon reçu, nous
devons nous aussi pardonner du fond du cœur à ceux qui nous ont
offensés.
La
foi chrétienne se résume donc ainsi : je suis un pécheur
pardonné. La vie chrétienne se résume ainsi : je pardonne moi
aussi aux pécheurs.
L’Église
a pris conscience de cet aspect bouleversant de la miséricorde
divine, toujours prête à remettre aux pécheurs les dettes les plus
énormes. Mais cela a pris du temps. L’Église est devenue en effet
au long de son histoire de plus en plus miséricordieuse. Dans les
premiers siècles, on ne pouvait recevoir le sacrement de pénitence,
l'absolution de ses péchés, qu'une seule fois dans sa vie et
cela après une dure pénitence. Ensuite, sous l'influence des moines
irlandais, on put recevoir ce sacrement autant de fois que l'on
désirait. Mais avant l'absolution il fallait encore faire une
pénitence sévère pour exprimer la sincérité de son repentir.
Enfin, on en vint au système actuel. On estima que le fait d'avouer
ses fautes humblement était suffisant et on se mit à donner
l'absolution immédiatement au pécheur bien disposé, lui imposant
une pénitence souvent plutôt légère à faire ensuite. Ainsi
l’Église a compris toute la profondeur de la parabole de ce jour :
ce qui compte surtout ce l'est pas l'effort de l'homme mais
l'immensité de la miséricorde de Dieu. Cette découverte de la
divine miséricorde n'a cessé de s'approfondir dans la suite.
Au
XVIIe siècle, une terrible hérésie vit le jour : le
jansénisme. Ce n'était plus la négation d'une vérité de la foi,
comme dans les anciennes hérésies, mais c'était l'image-même du
Dieu d'amour qui était en cause. On voyait en Dieu, non pas un Père
rempli d'amour pour les hommes, mais un justicier sévère, toujours
prêt à nous damner pour l'éternité. C'est alors que le Cœur de
Jésus se révéla à sainte Marguerite-Marie Alacoque. Voici
ce cœur qui a tant aimé les hommes, dit
Jésus à cette mystique, pour nous conduire tous à une totale
confiance en son amour, toujours prêt à pardonner quand on revient
à lui. Le culte du Sacré-Cœur de Jésus fut l'antidote
providentiel à l'hérésie janséniste, qui prit du
reste en horreur cette
nouvelle dévotion. Au XVIIIe siècle, Saint Alphonse de Liguori
rédigea une théologie morale qui était beaucoup plus
miséricordieuse et humaine que la plupart des traités de l'époque,
marqués par le rigorisme et le jansénisme. Lui-même affirma à la
fin de sa vie, qu'un des meilleurs souvenirs de sa vie de prêtre
était qu'il n'avait jamais confessé qui que ce soit sans lui avoir
donné l'absolution de ses fautes. Il avait compris qu'on attire
beaucoup mieux les âmes à Dieu par la douceur de la miséricorde
plutôt que par la sévérité. Sainte Thérèse de Lisieux a ouvert
elle aussi une porte qui n'a plus été refermée par la suite. Avec
son offrande à l'amour miséricordieux, elle a donné aux chrétiens
d'aujourd'hui la certitude que Dieu est un Père plein d'amour qui ne
demande qu'à faire miséricorde à qui veut se laisser simplement
aimer par lui. Voici une de
ses paroles les plus bouleversantes : Pour les
victimes de l'amour, il me semble qu'il n'y aura pas de jugement,
mais plutôt que le Bon Dieu se hâtera de récompenser par des
délices éternelles son propre amour qu'il verra brûler dans leur
cœur (Histoire d’une âme).
Au
XXe siècle, ce fut sainte Faustine et la naissance de la dévotion à
la divine miséricorde, saint Jean-Paul II, et sa magistrale
encyclique sur la miséricorde et enfin le pape François avec
l'année jubilaire de la miséricorde.
Tout
ceci illustre bien ce que dit l'évangile : Pris de
pitié, le maître de ce serviteur le mit en liberté et lui remit sa
dette. Soyons heureux de vivre
cette époque de l’Église en laquelle le mystère bouleversant de
la divine miséricorde est de mieux en mieux mis en lumière. Mais
n'imitons pas le serviteur impitoyable pour les autres : soyons
nous aussi pleins de miséricorde pour les autres.
Je
conclus, puisque j'ai parlé de la dévotion au Sacré-Cœur, en vous
citant cette belle oraison traditionnelle : Jésus,
doux et humble de cœur, rendez-mon cœur semblable au vôtre.
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