Je pense que certains de
mes lecteurs souhaitent que j'explicite davantage ce que j'ai écrit
dans mon dernier article. Mes réflexions sont celles d'un prêtre
qui n'a aucun titre académique, qui a fait juste assez de théologie
pour prêcher à des gens de la campagne ou entendre les confessions
de fidèles ordinaires. Ce que je dis, je le dis donc salvo méliorum
judicio !
Je veux exprimer un point
de vue qui est indépendant de la situation actuelle. C'est sans
doute de la théologie abstraite mais je veux qu'une bonne théologie
nous guide en cas de crise et je crains que les personnes qui
ferraillent indéfiniment avec le pape régnant et parlent d'une
déposition automatique ou se lancent dans des procédures visant à
déclarer un jour une telle déposition, ne soient sur une route tout
à fait erronée. Ils sont du reste très peu nombreux et y aurait-il
même un seul évêque pour les suivre ?
Il faut selon moi raison
garder et faire des distinctions. Comme l'histoire nous l'apprend, un
pape peut commettre des erreurs dans le gouvernement de l’Église,
le charisme d'infaillibilité ne concernant que sa fonction
magistérielle. Dans le magistère ordinaire du pape, je distingue
trois erreurs possibles, du moins en théorie. La première serait
celle d'un enseignement pastoral, dont on ferait de manière indue un
enseignement doctrinal, dans lequel le pape, avec du reste les
meilleures intentions du monde, proposerait des choses ambiguës,
susceptibles d'une interprétation juste et d'une interprétation
incorrecte. Comme je l'ai déjà écrit, au niveau pastoral, une
évolution de l’Église est toujours possible. Elle est même
souvent souhaitable. Mais des tâtonnements dans ce domaine sont
inévitables. Il faut donc a priori dans la pensée d'un pape voir
d'abord le bien-fondé de ce qu'il dit, voir tout le positif qu'il y
a dans la position apparemment novatrice du magistère suprême. Il
va de soi que dans ce cas, on peut exprimer un étonnement ou un
désaccord, mais il n'y a pas lieu d'envisager une perte du
pontificat dans le chef du pape concerné. Il faut simplement
attendre la suite des événements, au cours desquels après d'autres
tâtonnements, la vérité sera mieux exprimée.
Plus grave est le cas
d'un enseignement doctrinal erroné ou pire encore celui de l'hérésie
formelle. Il faut en effet distinguer une erreur dans la foi ou la
morale et une hérésie formelle. Une hérésie est toujours une
erreur, une erreur n'est pas toujours une hérésie au sens canonique
du terme. Un pape peut-il être formellement hérétique, et à ce
titre séparé du corps de l’Église ? De vieux théologiens
semblent l'avoir pensé. Mais à l'époque moderne, la presque
totalité des théologiens ne le pensent plus. Ils voient dans cette
possibilité théorique une contradiction avec les promesses du
Christ sur l'indéfectibilité de l’Église. Que disent les
historiens ? Il y a eu des erreurs en matière de foi chez le
pape dans des cas extrêmement rares. Honorius dans sa lettre au
patriarche de Constantinople aurait pactisé avec l'erreur
monothélite. Dans ce cas, il s'agit d'une lettre personnelle et non
d'un enseignement donné à l’Église universelle. Le pape n'a pas
parlé ex cathedra. Surtout l’Église n'avait pas encore rien
défini de manière définitive et solennelle sur la question des
volontés dans le Christ. Erreur dans la foi donc chez Honorius, mais
pas d'hérésie formelle. Le pape maîtrisait mal la question
théologique et il a cru apaiser les tensions dans l’Église. Jean
XXII, lorsqu'il a prêché son erreur sur la question de la vision
béatifique a commis une erreur grave en matière doctrinale. Il
disait en effet que la vision béatifique ne commencerait qu'à la
résurrection finale, et pas dès l'entrée de l'âme au paradis
après la mort individuelle. Mais il prit soin de signaler que
c'était son opinion en tant que théologien privé et ce n'est que
sous son successeur que la doctrine catholique fut définie ex
cathedra. Ce qui était une erreur en matière de foi devenait dès
lors une hérésie formelle.
Ainsi donc l'hérésie
formelle semble impossible chez un pape. Toutefois admettons cette
possibilité pour répondre à nos contradicteurs. Que se
passerait-il en cas de pape formellement hérétique ? Un pape
hérétique serait hors de l’Église comme tout hérétique. Et
pourtant il resterait le pape. Nous aurions alors une situation
anormale d'avoir à la tête de l’Église un chef qui ne serait
plus membre réellement de l’Église. Certains théologiens ou
canonistes parleront alors d'un pontife qui serait pape
matériellement mais pas formellement. Cette situation semble du
reste complètement surréaliste.
Un pape ne peut être
déposé par l’Église, même s'il est hérétique. C'est la thèse
à laquelle nous adhérons. A fortiori si les erreurs enseignées ne
sont pas des hérésies formelles. Le pape tient sa charge
directement du Christ et le Seigneur est le seul juge du pape
hérétique. L’Église doit tolérer et prier pour un tel pontife.
Il ne lui appartient pas de le déposer mais de faire confiance en la
divine Providence.
En effet le dommage pour
l'avenir de l’Église que constitue la déposition d'un pontife
romain est incalculable : troubles de toutes sortes, confusion
dans les esprits, indiscipline généralisée, avènement
d'antipapes, divisions encore accrues parmi les chrétiens. Maux
infiniment plus graves que l'hérésie particulière d'un pape. La
sagesse veut que l'ordre et la discipline soient privilégiés dans
le corps de l’Église. Voilà pourquoi je supplie ceux qui
envisagent cette hypothèse tragique d'y réfléchir à deux fois
avant de se lancer dans une telle aventure.
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