Homélie du Père Jean Geysens, moine de Chevetogne
Frères et soeurs dans le
Seigneur,
Cette parabole nous entraîne
dans une atmosphère typique du Proche-Orient : une fête de
noce qui va durer plusieurs jours, avec des filles en cortège, un
jeu de contraste entre l'obscurité de la nuit et la lumière des
lampes. Prise à la lettre le tableau est difficile à représenter :
les filles partent d'où ? Quelle est la distance à parcourir
avec l’Époux jusqu'à la fameuse salle ? Où est l'épouse, on
en parle même pas ? Où sont les garçons d'honneur ?
C'est un peu confus...car justement, c'est une parabole, dont il faut
essayer de saisir le message essentiel. Mais comme j'ai dit, il faut
se plonger dans un milieu oriental, Sémitique, Arabe ou Juif, pour
saisir le milieu de vie dans lequel Jésus raconte.
Voyons
un peu se qui se passe. Il y a d'abord les jeunes filles. Le grec
utilise le terme précis de vierges. Ceci appartient au symbolisme
nuptial que l'on retrouve dans l'Ecriture. Pensez à l'Apocalypse :
au chapitre 14, les compagnons de l'Agneau – le Christ Vainqueur –
sont appelés vierges,
ceux-là
suivent l'Agneau partout où il va...jamais leur bouche ne connut le
mensonge : ils sont immaculés (cf
Ap 14, 4-5). Il y a donc une virginité au sens spirituel. Et puis, à
la fin de l'Apocalypse, un des sept anges dit au voyant :
viens,
que je te montre la Fiancée, l'Epouse de l'Agneau
(Ap 21, 9). On a donc déjà trouvé l'épouse absente de la
parabole. Mais revenons à la lettre du récit. Le fait que l'on y
parle de dix vierges veut dire que nous sommes tous concernés. Il
s'agit de tous les baptisés et même de tous les hommes/les humains
comme on dit maintenant de bonne volonté, car la dimension
spirituelle de l'humain est habituellement représentée par une
figure féminine. C'est pourquoi on dit l'âme. La parabole s'adresse
donc à des personnes qui sont déjà converties en principe, qui
sont disciples, où qui essayent de l'être : on est tous
invités et on est tous là avec notre lampe, en attente d'une
rencontre. Il est clair que l'époux c'est la figure du Seigneur
lui-même.
Or,
c'est la lampe qui devient l'enjeu principal de l'histoire, si l'on
peut dire. Ce n'est pas qu'on manque de lampes, c'est l'huile qui
n'est pas présent en assez grande quantité. Et on revient aux deux
types de personnalités spirituelles, représentées par les deux
sortes de vierges : les prévoyantes, sages dans le sens de la
sagesse et les insouciantes, folles dans le langage de la Bible. Le
fou dans les psaumes c'est celui qui déclare dans son cœur :
il n'y a pas de Dieu, et qui va à sa perte. La folie biblique, c'est
manquer le sens de ce qui est essentiel dans la vie. La sagesse c'est
oser penser à notre rencontre définitive avec le Seigneur.
L'insouciance, c'est vivre seulement pour le monde visible qui passe.
Je suis en train d'interpréter l'huile. Elle signifie en tout cas la
pointe de la parabole, à savoir l'attitude de vigilance, d'attente.
L'huile est indispensable pour que le feu, la flamme de la lampe
brûle. Et ici on nous dit que c'est quelque chose dont nous devons
nous occuper. Il faut y penser à temps. Faire quelque chose pour
entretenir le feu de la foi, de l'espérance et de l'amour. Les
vierges folles sont peut-être des braves filles – je brode sur la
parabole – mais elles vivent de façon insouciante, disons même
irresponsable, elles constatent qu'elles n'ont pas d'huile quand
c'est trop tard, elles veulent aller en acheter en pleine nuit. On
pourrait faire beaucoup d'applications. Il y a des gens qui n'ont
rien contre la religion – disent-ils – mais qui remettent
toujours à plus tard pour s'en occuper sérieusement. Puis c'est
trop tard. La fin de la parabole sonne dur pour nos sensibilités de
modernes. Pourtant c'est la même phrase terrible employée par Jésus
aux personnes qui se limitent à lui dire « Seigneur,
Seigneur », mais qui ne font pas la volonté du Père. « Je
ne vous connais pas » : cela veut dire qu'il n'y a pas de
relation vivante entre nous. Attention, la parabole ne veut pas faire
peur. Ce n'est pas le but. Le but est d'exhorter à l'attente
vigilante, l'attente avec l'huile qui est à portée de main. Ce
n'est pas si difficile. Ne pas oublier l'unique nécessaire. Ecouter
la voix du Seigneur chaque jour. Essayer d'être fidèle. Revenir
quand on a été faible.
L’Époux qui vient est donc le
Seigneur qui invite à la rencontre, à la fête dans la salle des
noces. L’Épouse, c'est l'humanité nouvelle, dont l'Église est le
sacrement, le signe, et dont la Vierge Marie est le symbole, la
personnification. L'Élise en sa totalité est donc l’Épouse de
l'Agneau.
Parlons
encore vigilance.
Ce n'est pas un état de tension constante. On peut bien dormir la
nuit : « comme l’époux tardait, elles s'assoupirent toutes
et s'endormirent », lit-on. Mais, pour employer le langage du
Cantique des Cantique, c'est l'épouse – donc l'âme fidèle –
qui dit : « je dors, mais mon cœur veille ». Le
Bien-Aimé est toujours le bienvenu, Il est attendu. Le Christ nous
appelle à garder la fidélité à sa parole, à son message, à ne
pas nous satisfaire des biens de ce monde, à tel point que nous
risquerions d'oublier la perspective ultime de notre existence,
c.à.d. La rencontre avec le Seigneur pour toujours.
Au
milieu de la nuit, il y eut un cri : Voici l’Époux ! Sortez
à sa rencontre.
Un de nos grands mystiques, le bienheureux Jean Ruusbroec
l'admirable, qui vécut en la forêt de Soignes près de Bruxelles,
au 14° siècle, a pris ce seul verset comme base d'un de ses
ouvrages mystiques (Les
Noces Spirituelles).
Notre vie en ce monde, notre parcours, c'est comme une nuit, la nuit
de la foi. L'annonce de la bonne nouvelle est que nous sommes aimés
au-delà de notre imagination, que nous sommes attendus dans la fête
sans fin. Mais il faut bien bouger, il faut sortir d'une existence
superficielle et banale et s'ouvrir à la dimension spirituelle de la
vie. Nous voudrions nous représenter la vie céleste. C'est pourquoi
l'Ecriture et le Seigneur lui-même emploient des images : le
banquet céleste, les noces etc qui évoquent et voilent en même
temps. Il faut donc accepter et respecter le mystère, le non-voir.
Un auteur anglais du Moyen-Age parle du nuage de l'inconnaissance –
la présence divine – que nous pénétrons en quelque sorte par une
brève et intense parole de prière, comme 'Dieu' – 'Amour'.
Toutefois, il y a des vies qui nous parlent d'un ailleurs, ou plutôt
d'une autre dimension, celle qui est cachée, de l'existence. Il y a
des personnes dont l'existence a quelque chose d'épiphanique, qui
sont déjà un peu transfigurées – je parle des saints, aussi les
saints ordinaires – devenues transparentes pour la lumière d'en
haut. Dans notre monde qui passe, déjà quelque chose de cette
gloire future – les noces de l'Agneau avec l'humanité – fait
irruption. Au détour des sentiers parfois difficiles de la vie la
Sagesse vient à notre rencontre. Amen.
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