Voici une conférence que j'ai faite récemment aux oblats du monastère de Chevetogne sur la prière de saint Ephrem. J'ai gardé le style oral de ce texte.
Le Père
Philippe m’a demandé de vous parler de la prière de St Ephrem,
bien que je ne sois pas un byzantin ici, si ce n’est que je vais de
temps en temps aux offices comme vous le savez et puisque au moins le
dimanche, le samedi soir et une fois dans la semaine au moins, nous
allons tous à l’église byzantine.
Je
vais donc essayer de vous en parler. Alors, la prière que l’on
appelle de Saint Ephrem, d’après les historiens, elle n’est
probablement pas de Saint Ephrem lui-même parce que l’on a
seulement des versions en grec ou en vieux slave. Alors que Saint
Ephrem était un père de l’église du 4ème
siècle qui écrivait en syriaque, il n’était ni un père latin ni
un père grec mais un père oriental. A l’époque tout cela faisait
une seule et même Église, il n’y avait pas encore les séparations
qu’il y a maintenant. On pense donc que ce n’est pas lui qui l’a
écrite mais plutôt que cela fait partie d’une tradition, d’un
corpus de textes qui se réclament de lui. Comme c’est souvent le
cas dans l’antiquité, à partir du moment où quelqu’un avait
une certaine aura, on mettait sur son compte des textes dans le genre
de sa pensée.
Enfin, on
l’appelle la prière de Saint Ephrem. Elle n’est pas très longue
et c’est une prière qui est utilisée dans le rite byzantin
uniquement en Carême, elle est vraiment typique du Carême. Bien
sûr, elle peut être utilisée dans la prière personnelle pendant
le temps de Carême parce qu’elle exprime un peu la pénitence du
Carême mais elle est utilisée dans la liturgie.
Je n’y
suis pas habitué puisqu’en principe je ne vais pas aux offices
byzantins mais d’après ceque j’ai pu comprendre elle est
utilisée en semaine seulement. Parce que vous savez que le Carême
byzantin est conçu différemment du nôtre en ce sens
qu’essentiellement le temps de Carême est du lundi au vendredi ;
samedi et dimanche ne sont pas comptés. C’est pour cela que le
Carême commence plus tôt, légèrement plus tôt et dure 7 semaines
ce qui fait 35 jours. On y ajoute le Samedi Saint qui est jour de
Carême et comme le jeûne se poursuit jusqu’au milieu de la nuit
cela fait donc 35 + 1 ½ donc 36 jours et demi. Cela fait donc le
10ème
de l’année et les Byzantins comprennent le Carême plutôt comme
la dîme à payer à Dieu. Dans une année, 36 jours et demi, un
dixième de l’année où l’on fait spécialement plus que le
reste du temps des efforts pour Dieu. Voilà comment c’est conçu.
Chez nous le
Carême qui est quand même moins sévère, dure du lundi au samedi.
Ce qui fait 6 semaines de 6 jours ce qui fait 36 jours plus les 4
premiers jours à partir du mercredi des cendres, ce qui fait 40
jours. Dans le rite latin, les 40 jours sont un rappel des 40 ans au
désert du peuple hébreux et les 40 jours au désert de Jésus après
son baptême. Ce sont deux logiques différentes.
Du lundi au
vendredi, on utilise cette prière si j’ai bien compris à la fin
des offices. C’est une prière de conclusion. Aux Présanctifiés
auxquels j’assiste le mercredi, elle est dite deux fois.
Si vous êtes
un peu habitués aux offices byzantins, vous voyez tout de suite,
c’est ce moment où subitement on ne chante plus et le prêtre à
l’autel tenant les mains vers le haut, récite une prière et il y
a 3 grandes métanies.
Je vais
maintenant vous en lire le texte, il y a plusieurs versions avec des
différences entre les grecs, les russes, les roumains, les arabes
mais on ne va pas entrer dans ce détail car ça concernerait plutôt
les spécialistes.
Je prends
une version qui est donnée par le groupe de prière St Damien qui
est un groupe de prière pour jeunes qui est organisé par la
fraternité de Tibériade ici dans la région et qui propose pour le
Carême cette prière orientale dont il donne la traduction
suivante :
Cette prière
comprend 3 strophes, la première demande la délivrance de choses
négatives, la deuxième est une demande de choses positives et la
troisième est une conclusion générale.
La première
STANCE de cette prière :
« Seigneur
et Maître de ma vie, ne m’abandonne pas à l’esprit de paresse,
de découragement, de domination et de vains bavardages »
Quatre vices
si je puis dire sont évoqués.
La
deuxième :
« Mais
fais-moi la grâce à moi ton serviteur de l’esprit de chasteté,
d’humilité, de patience et de charité. »
Parmi les
variantes, ici notamment au lieu de chasteté ; j’entends plus
souvent le mot tempérance. La tempérance c’est plus global, la
chasteté c’est un aspect de la tempérance c’est la tempérance
au niveau sexuel mais il n’y a pas que cela.
Dans une
autre traduction, celle du père SCHMEMAN qui est un théologien
orthodoxe liturgiste qui a beaucoup écrit sur le Carême (peut-être
en avez-vous entendu parlé ce matin) ; lui dit l’esprit
d’intégrité. C’est encore plus fort.
La
troisième :
« Oui,
Seigneur Roi accorde moi de voir mes fautes et de ne pas condamner
mon frère. O toi qui est béni dans les siècles des siècles. »
Il y a là
deux choses, voir mes fautes et ne pas condamner mon frère. Ne pas
voir les fautes des autres mais uniquement les miennes.
C’est tout
un programme de Carême évidemment qui est évoqué dans cette
prière. Après chacune des 3 stances, on fait à chaque fois une
grande métanie c-à-d que l’on fait d’abord le signe de la croix
à la byzantine, on se met à genoux et l’on va avec le front
jusqu’au sol c’est ce que l’on appelle la grande métanie qui
se fait surtout en Carême. C’est un geste pénitentiel. Même
quand on rentre à l’église en temps ordinaire on fait la petite
métanie c-à-d un signe de croix avec une inclination profonde mais
à d’autres moments on fait aussi la grande métanie, genoux à
terre.
Métanie
c’est un mot qui en grec veut dire conversion : métanoïa.
Alors que la génuflexion chez les catholiques exprime plutôt
l’adoration devant Dieu, la révérence.
La métanie
dans le rite byzantin a un sens nettement plus pénitentiel parce que
souvent c’est accompagné d’une prière comme celle-ci :
« O
Dieu sois propice au pécheurs que je suis » c’est la prière
du publicain.
Cette
gymnastique de s’incliner, de se retourner, de se prosterner est
vraiment comme un symbole du retournement de l’être devant Dieu,
devant la sainteté de Dieu. L’homme se sent pécheur et se
prosterne.
Nous allons
maintenant regarder cette prière, chacune de ses parties et surtout
dans la lumière dans ce temps de Carême qui est un temps de
conversion, de pénitence.
Prenons la
première : « Seigneur et Maître de ma vie »
Voilà
comment on s’adresse à Dieu. Est-ce à Dieu le Père ou est-ce au
Christ ?, ce n’est pas très clair. Chacun le comprend selon
sa spiritualité, ses habitudes.
Comme
dans le rite byzantin beaucoup de prières de l’office sont
directement adressées au Christ, on peut peut-être penser que c’est
le cas ici. On va prendre cette option-là mais cela n’a pas
beaucoup d’importance.
En tous cas,
celui que l’on invoque est appelé le Seigneur et Maître de ma
vie ; on est donc face à son Seigneur, à celui qui est le
Maître de ma vie.
Dans
l’évangile selon St Mathieu, il y a cette parole de Jésus qui est
très belle :
« Venez
à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau et Moi, je
vous soulagerai. Devenez mes disciples, prenez mon joug car je suis
doux et humble de cœur et vous trouverez le repos pour vos âmes ».
Je cite de
mémoire mais vous connaissez cette parole qui est très
interpellante évidemment et c’est dans ce sens là que je
comprendrai ici cette thématique du Maître de ma vie.
Nous avons
tous un fardeau dans la vie c’est notre faiblesse, nos maladies,
nos limitations de tous genre, nos obscurités personnelles, nos
souffrances, nos péchés aussi. Tout cela ce sont des choses qui
sont sur nos épaules et Jésus nous invite à les lui donner, à les
lui remettre, à nous abandonner à lui.
Nous avons
tous un fardeau à déposer devant le Seigneur et spécialement
pendant le temps du Carême.
« Seigneur
et Maître de ma vie » lit-on ici dans ce texte diffusé par le
groupe de prière St Damien ; « Seigneur et Maître de ma
vie » il l’est. Sans cesse nous devons lui remettre notre vie
afin qu’il puisse nous apporter la paix.
C’est
peut-être déjà une très belle chose qui peut nous parler, c’est
que en Carême ce que l’on essaye de trouver c’est cette paix
profonde du cœur que seul le Seigneur peut nous donner. Il est le
Maître de notre vie c-à-d qu’il agit dans notre vie mais à
condition que nous le laissions faire et que nous lui remettions tous
ce qui nous concerne.
Comme dit le
psaume 36 : « Remet ton sort au Seigneur, compte sur
lui, il agira ». Le Carême va nous permettre de remettre les
choses à leur place selon le plan de Dieu. La prière de St Ephrem
en est l’aide mémoire. Elle commence d’ailleurs par le
commencement en remettant le Seigneur à la première
place « Seigneur et Maître de ma vie ».
Le temps du
Carême est un temps où précisément on va essayer toujours de
remettre le Seigneur à sa vraie place, celle de Maître, de
Souverain Seigneur.
La première
conversion : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu »,
premier commandement.
A
partir de là, il y a ce que l’on appelle l’obéissance à Dieu,
redécouvrir l’obéissance à Dieu.
La loi de
Dieu, les commandements de Dieu sont là pour nous aider à discerner
entre le bien et le mal. Quand nous avons ce choix à faire, c’est
en général assez clair même si parfois nous ne sommes pas toujours
très honnêtes il y a quelque chose qui est de l’ordre du bien et
son contraire qui est de l’ordre du mal. Comme on peut le lire dans
le livre du Deutéronome, le Seigneur dit « Je vous place
devant 2 chemins, le chemin de la vie et le chemin de la mort.
Choisissez » c’est pour cela qu’il nous donne ses
commandements. C’est pour nous indiquer où est notre vrai bonheur,
où est le chemin qui mène à la vraie vie.
Mais la
plupart du temps dans la vie, pour faire la volonté de Dieu, la loi
c’est bien entendu les commandements de Dieu mais aussi la loi de
l’Église que l’on appelle le droit canon, c’est même aussi la
loi civile lorsqu’elle n’est pas contraire à la conscience
chrétienne. On sait ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas
faire.
Mais dans la
vie pour vraiment obéir à Dieu tout au long de notre vie et pour
faire sa volonté, la plupart du temps il ne s’agit pas seulement
de choisir entre le bien et le mal.
La plupart
du temps nous avons tout un tas d’autres choix à faire entre ce
que l’on pourrait appelé deux biens différents et il faut
choisir, ou entre le bien et le mieux. Quand on ressent un appel à
une certaine sainteté à une certaine perfection, on sait très bien
que ça c’est bien mais si je faisais ça aux yeux de Dieu ce
serait mieux encore mais est-ce qu’il faut le faire ?
On dit le
mieux est l’ennemi du bien, il faut discerner et la vie chrétienne
est un lieu incessant de discernement, c’est pour cela que la
prière, le recueillement, la réflexion sont si importants. A la
question « Quelle est le propre-même du moine ? Qu’est-ce
qui fait sa valeur spirituelle ? » ; un moine du
désert répondait : c’est le discernement. La discrétion
pour employer le mot latin. C-à-d que nous devons discerner nos
pensées.
Alors les
pensées et je vais un peu m’inspirer ici de tous les enseignements
de St Ignace de Loyola dans ce qu’il dit sur le discernement
spirituel.
« Les
pensées viennent de nous-mêmes ou d’ailleurs » ces pensées
qui vont faire l’objet de notre discernement. Ces pensées qui
viennent de nous-mêmes sont celles qui nous sont personnelles où
notre liberté personnelle s’est exercée. Par exemple vous avez eu
l’idée de venir participer au week-end des oblats, bien sûr vous
avez reçu une invitation ça vient donc un peu de l’extérieur
mais vous avez décidé de venir et vous êtes venus, vous avez donc
accompli et exécuté votre pensée. C’est une pensée qui vient
vraiment de vous.
Il y a des
pensées qui viennent, comme dit un commentateur, « comme du
dehors ». Il y a des pensées qui viennent du dehors mais aussi
certaines pensées viennent de nous mais en fait elles ne procèdent
pas de notre liberté.
Et nous
vivons cela sans arrêt. C’est par exemple, la mémoire, les
souvenirs qui reviennent à la surface c’est involontaire.
L’imagination, on dit c’est la folle du logis, elle est toujours
en action. Cela ne procède pas de nos facultés spirituelles mais de
la partie inférieure de l’âme pour reprendre les divisions
traditionnelles parce que nous sentons que nous ne sommes pas aussi
libres que cela dans ces cas là.
Le cas le
plus fort, c’est évidemment l’obsession.
La mémoire
est vraiment une chose indépendante de notre volonté parce que
quand nous voulons nous rappeler quelque chose, le nom d’une
personne, pas moyen. Et puis il y a des choses que l’on veut
oublier sans y parvenir, elles reviennent. Des choses du passé qui
subitement nous reviennent à l’esprit et qui nous perturbent.
C’est pour cela que l’on peut parler de pensées qui viennent
comme si elles venaient du dehors parce qu’elles nous submergent et
nous font même souvent souffrir. C’est tout un monde de pensées
dans lequel il nous faudra faire un discernement. Parce que, dit St
Ignace de Loyola, il y a au fond deux esprits à travers ces pensées.
Un père du désert définissait aussi le moine comme un martyr de la
pensée.
Et donc
l’essentiel de l’ascèse chrétienne c’est le combat contre les
pensées. St Ignace a un peu synthétisé la question en disant le
discernement c’est de savoir quelles sont les pensées qui viennent
du bon esprit et quelles sont les pensées qui viennent du mauvais
esprit.
Dans la vie
monastique qui est une vie retirée ou l’on est beaucoup plus dans
le silence, ce travail de discernement des pensées on doit le faire
sans arrêt parce que l’on a vraiment un combat.
Au fond
pendant le Carême, si nous vivons le Carême comme une espèce de
vie monastique dans le monde c-à-d une espèce de retraite, on aura
aussi à faire inéluctablement à ce combat des pensées qui sera un
combat entre obéir à Dieu, Seigneur et Maître de ma vie, et lui
désobéir.
Certaines
pensées viennent du bon esprit, d’autres du mauvais esprit. Le
mauvais Esprit est l’ennemi des
âmes . Je me souviens de ce
que disait le Père Maxime qui parlait ce matin, quand j’étais
novice, il était notre zélateur et il avait dit lors d’une
conférence : « Plus on avance dans la vie spirituelle,
plus on se rend compte que le combat contre tout ce qui est mauvais,
c’est un combat personnel. On a affaire à un mauvais esprit qui
est derrière tout cela. Esprit que nous appelons le démon, le
diable, Satan.
Alors il
nous faut discerner ce qui vient du mauvais ou du bon esprit afin de
ne pas tenir compte et dans la mesure du possible de repousser les
pensées mauvaises et au contraire d’accueillir les pensées qui
viennent du bon esprit et ce n’est pas si simple que cela parce que
on peut se tromper.
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