La messe, sacrifice de
réconciliation
Le Christ, notre
réconciliation dans l'eucharistie
Par
sa mort sur la Croix, Jésus-Christ a réconcilié l'humanité avec
le Père et aboli les séparations entre les hommes en détruisant le
mur de la haine. Il a ainsi apporté la paix véritable à
l'humanité. Ce sacrifice de réconciliation et de paix est rendu
présent en chacune de nos messes. Il y a une identité substantielle
entre le sacrifice de la Croix et celui de la messe. La victime
propitiatoire et le prêtre sont la même personne : celle du
Christ. Seul le mode d'offrande est différent : le sacrifice
est sanglant sur la Croix, il est non sanglant à la messe.
C'est
l'âme en paix, réconciliée, que nous devons participer à la
messe. Dans la liturgie de saint Jean Chrysostome, la grande litanie
de la paix qui commence la liturgie débute par ces mots : En
paix, prions le Seigneur. Cela
indique bien dans quel esprit nous devons prier à la messe.
Dans
l’Évangile, Jésus est très clair sur cette question : Si
donc tu apportes ton offrande à l'autel et que là tu te souviennes
que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande
devant l'autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis tu
viendras présenter ton offrande (Matt.
5, 23-24). C'est pourquoi dans la liturgie orientale le baiser de
paix à lieu juste avant la prière eucharistique, avant l'offrande
du sacrifice. Dans le rite romain, il a lieu avant la communion, mais
il va de soi que les dispositions profondes de ce rite doivent être
présentes dès le début. Le rite romain souligne que la communion
qui va avoir lieu est non seulement communion avec Dieu mais aussi
communion entre nous.
Le sacrifice de la messe, institué lors de la dernière Cène, a les
caractères d'un repas, donc d'un moment de convivialité. On ne
vient pas à table les armes à la main. Un repas suppose l'harmonie
entre les convives. La fête est gâchée si les participants ont
entre eux des sentiments de discorde, de jalousie ou de rivalité.
Dans un monastère les repas sont aussi conçus comme des liturgies,
qui prolongent la célébration eucharistique. Ainsi, dans les
monastères orthodoxes, les jours de fête, on se rend après la
liturgie en procession au réfectoire avec l'icône de la fête, et
on prolonge l'eucharistie par le repas de fête qui rassemble dans la
joie de la réconciliation toute la communauté. Les réfectoires du
reste ont tendance à ressembler à des églises.
Déjà
dans l'ancien Testament, le sacrifice offert se poursuivait la
plupart du temps par un repas, qui concrétisait l'unité des
participants entre eux et avec la divinité. Voici ce qu'on peut lire
dans le livre de l'Exode à propos de la grande théophanie du
Sinaï : Moïse
monta ensuite avec Aaron, Nadab, Abihou et les soixante-dix anciens
d'Israël. Ils virent le Dieu d'Israël ; il y avait sous ses
pieds comme un dallage de saphir, si pur que l'on aurait dit le ciel.
Dieu ne porta pas la main sur ceux qu'il avait choisis, mais ils
virent Dieu ; ils mangèrent et ils burent (Ex
24, 9-11). Il est donc remarquable que ce moment solennel de la
rencontre entre Dieu et son peuple se soit déroulé dans le cadre
d'un repas, moment de paix et de réconciliation. Dans l’Écriture,
la vie bienheureuse du ciel, de la vie avec Dieu, dans la vision
divine, est souvent décrite comme un grand festin qui rassemble
l'humanité dans la joie d'une fête perpétuelle de l'harmonie
universelle et de la totale réconciliation. L'eucharistie en ce sens
est un avant-goût de la fête éternelle.
Prières
eucharistiques pour la réconciliation
En 1975, à l'occasion de l'année sainte, le Saint-Siège a donné
son approbation à deux nouvelles prières eucharistiques, centrées
sur le thème de la réconciliation. La seconde de ces prières va
maintenant nous inspirer pour approfondir le thème de l'eucharistie
comme sacrifice de réconciliation. La réalité du péché fait que
l'humanité est désunie et déchirée. L'action salvifique de Dieu
sera par conséquent une œuvre de pacification et de réconciliation.
En ce sens le sacrifice de la Croix est un sacrifice propitiatoire,
un sacrifice qui procure la paix, paix des cœurs avec Dieu, par le
pardon des péchés, paix des hommes entre eux, par le dépassement
des haines et des divisions. Ce sacrifice est une victoire sur le
diable, terme qui signifie le diviseur, celui qui est à l'origine
des divisions entre l'homme et Dieu et entre les hommes eux-mêmes.
Dieu est dès lors à l'origine de tout effort vers la paix.
Voici
ce qu'on peut lire dans la préface de cette nouvelle prière
eucharistique : Ton
esprit travaille au cœur des hommes : et les ennemis enfin se
parlent, les adversaires se tendent la main, des peuples qui
s'opposaient acceptent de faire ensemble une partie du chemin. Oui,
c'est à toi, Seigneur, que nous le devons, si le désir de
s'entendre l'emporte sur la guerre, si la soif de vengeance fait
place au pardon, et si l'amour triomphe de la haine.
Cette
réconciliation est le fruit du sacrifice du Christ, qui est venu
parmi nous pour être la main tendue aux pécheurs et le chemin par
où nous arrive la paix véritable. La Croix réalise le chant des
anges lors de la nativité : Gloire
à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de
bonne volonté. Le
salut apporté par la Croix n'est pas seulement une réalité
extérieure, comme si Dieu entendait seulement ne pas punir les
hommes, tout en les laissant comme ils sont. Il s'agit d'un salut
intérieur, d'une véritable transformation du cœur humain,
convertissant la volonté mauvaise en une bonne volonté. Nous
devenons ainsi par la grâce du Christ des hommes de bonne volonté,
sur lesquels peut venir ainsi la paix céleste.
La messe est dès lors une célébration joyeuse et pleine de
reconnaissance pour le mystère de cette réconciliation que le
Christ nous a obtenue. Au moment de la consécration, la prière
rappelle que le Christ s'est offert pour notre libération et qu'en
prenant la coupe de bénédiction, lors de la dernière cène, il a
rendu grâce pour la miséricorde du Père.
Après la consécration, cette prière eucharistique pour la
réconciliation se poursuit en faisant le mémorial de ce que le
Christ a laissé à son Église : son amour. Et nous faisons
l'offrande du sacrifice qui nous rétablit dans la grâce divine, en
rappelant que cette offrande que nous faisons est elle-même un don
de Dieu.
Dans l'épiclèse, nous demandons dans ce repas le don de l'Esprit
Saint, comme celui qui peut faire disparaître les causes de nos
divisions. Nous constatons bien ainsi que le salut donné par Dieu
est une véritable guérison intérieure, qui remonte jusqu'au causes
profondes de nos maladies et de notre péché, dont les divisions
entre nous sont la manifestation la plus évidente. La messe doit
donc nous procurer une augmentation de la charité et de la communion
entre nous.
Nous demandons entre autres la communion avec le pape et les évêques,
avec toute l’Église. L’Église est dans le monde le signe
visible de l'unité et la servante de la paix. L'eucharistie
construit l’Église comme une communion entre les hommes, un lieu
de pardon et de réconciliation. La communion de tous les catholiques
avec le pape préfigure ainsi l'unité de tout le genre humain dans
le Christ, lui qui est notre paix et notre réconciliation.
La
prière eucharistique se conclut ainsi par une vision eschatologique
particulièrement puissante : Et
comme tu nous rassembles ici, dans la communion de la bienheureuse
Mère de Dieu, la Vierge Marie, et de tous les saints du ciel, autour
de la table de ton Christ, daigne rassembler un jour les hommes de
tout pays et de toute langue, de toute race et de toute culture, au
banquet de ton Royaume ; alors nous pourrons célébrer l'unité
enfin accomplie et la paix définitivement acquise, par Jésus, le
Christ, notre Seigneur.
Cette nouvelle prière eucharistique entendait mettre en valeur de
manière explicite, avec des termes choisis, la dimension de
réconciliation présente dans l'eucharistie. Mais quand on y regarde
de près cette dimension fondamentale est présente dans toutes les
prières eucharistiques.
La
réconciliation dans le rite de la messe
Mais
il n'y a pas que la prière eucharistique à mettre l'accent sur le
thème de la réconciliation. Toute la messe le fait. Notons-en les
principaux éléments. La préparation pénitentielle au début est
déjà un premier acte communautaire de réconciliation. Dans le
gloria, on s'adresse au Christ ainsi : Toi
qui enlèves le péché du monde. La
prière qui conclut l'offertoire, et qui exprime le sens profond du
sacrifice qui va être offert, parle parfois de la réconciliation et
de l'unité. La préface offre une synthèse du mystère célébré
dans la messe du jour. Il n'est donc pas rare que notre thème
apparaisse lui aussi. La consécration du calice est explicite en
parlant du sang de l'alliance nouvelle et éternelle, versé pour la
multitude en rémission des péchés. La troisième prière
eucharistique a ces termes : Par
le sacrifice qui nous réconcilie avec toi, étends au monde entier
le salut et la paix. Il
y a ensuite la Notre Père où nous prions : Pardonne-nous
nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont
offensés. Et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais
délivre-nous du mal. La
prière après le Notre Père poursuit : Donne
la paix à notre temps ; par ta miséricorde, libère-nous du
péché. De
même la prière pour la paix met en relief la paix et l'unité, en
demandant au Seigneur de ne pas regarder nos péchés, en particulier
le péché de division. Lors de la fraction nous chantons :
Agneau de Dieu,
qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous, donne-nous
la paix. De
la même manière avant la communion le prêtre présente la sainte
hostie en disant : Voici
l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
La réconciliation est donc bien au cœur de la messe. Il ne nous est
donc pas permis, sous peine d'être profondément illogique, de
participer à l'eucharistie sans avoir dans le cœur et dans notre
prière, un profond désir de la réconciliation universelle et de
l'unité, et sans essayer de vivre ce mystère, qui est un don de
Dieu, dans le concret de nos existences.
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