Tout
chrétien devrait connaître les actes de foi, d'espérance et de
charité, ainsi que l'acte de contrition, et les dire de temps en
temps. L'acte de charité en particulier a toute son importance, car
en le faisant, nous faisons un pas décisif pour orienter notre vie
selon le double commandement de l'amour, dont parle Jésus dans
l'évangile de ce dimanche. Ce double commandement résume toute la
loi de Dieu, les dix commandements donnés à Moïse. L'amour de Dieu
résume les trois premiers commandements : aimer Dieu et
n'adorer que lui, respecter son saint Nom, sanctifier le jour du
Seigneur. Et l'amour du prochain résume les sept commandements qui
suivent : honorer ses parents, ne pas tuer, ne pas faire
d'adultère, ne pas voler et ne pas mentir.
Dans
l'acte de charité, nous disons aimer Dieu parce qu'il est infiniment
bon et souverainement aimable et nous disons l'aimer par-dessus toute
chose. Venons-nous de commettre quelque faute, grave ou pas ?
Disons tout de suite et avec grande simplicité : « Mon
Dieu, je vous aime », et cet acte de charité efface notre
faute et nous remet dans l'amour de Dieu.
Nous
disons ensuite dans le même acte de charité, que nous aimons aussi
notre prochain comme nous-même pour l'amour de Dieu. « Amare
est bonum velle », « aimer c'est vouloir du bien »,
dit quelque part saint Thomas. L'amour du prochain est donc une
affaire de volonté, quelque chose qui se trouve dans notre cœur
profond, et non dans la zone périphérique de notre sensibilité.
C'est très important de le savoir et je vais en reparler dans
quelques instants en l'appliquant à la difficile question du pardon.
En
fait aimer est une chose naturelle et spontanée pour l'être humain.
C'est ne pas aimer qui est anormal. Ainsi le commandement de Dieu, le
double commandement d'un unique amour, confirme la loi naturelle,
mais la perfectionne, car nous devons aimer non seulement ceux qui
nous plaisent mais aussi ceux qui ne nous plaisent pas. Nous devons
en fait aimer tout le monde, sans exception aucune. Nous devons aimer
nos parents, notre famille, nos amis. Nous devons aussi aimer ceux
pour qui nous n'avons pas spontanément de sympathie. Nous devons
aussi aimer nos ennemis, ceux qui nous ont blessé ou fait du mal, ou
même ceux qui nous persécutent. Tout le monde sans exception.
L'amour des ennemis est la grande nouveauté de l’Évangile.
Mais
cela, nous le savons, est bien difficile, et on rencontre souvent des
personnes qui disent : « Je ne parviens pas à
pardonner ». Ces personnes sont alors dans une certaine
inquiétude car elles pensent ne plus vivre dans la ligne de
l’Évangile et que Dieu non plus ne leur pardonnera pas. Mais les
blessures subies sont si douloureuses qu'il est impossible de ne pas
oublier.
Eh
bien, je voudrais dire quelque chose pour éclairer et consoler les
âmes de bonne volonté qui se trouvent dans cette souffrance. Le
pardon chrétien est une affaire de volonté profonde et non de
sentiment. Vous ne parvenez pas à oublier, mais cela ne dépend pas
de vous. On ne vous demande pas d'oublier mais de vouloir pardonner.
Notre sensibilité, ce que j'appelle ici le sentiment, ne dépend pas
de nous. Nous n'avons qu'un pouvoir limité sur celle-ci. Lorsque
nous pardonnons, notre sensibilité blessée va le demeurer, jusqu'à
ce que Dieu finisse par tout apaiser, si nous le prions pour cela.
Les blessures psychiques ne se guérissent pas en une fois. Mais ce
qui nous est demandé à l'égard de notre ennemi, c'est de ne pas
nous venger, de ne pas lui vouloir du mal en retour. Et cela nous le
pouvons, si nous le voulons, avec la grâce de Dieu. Aimer, comme je
l'ai dit, c'est vouloir du bien à autrui, le même bien que nous
souhaitons pour nous. C'est possible, avec la grâce de Dieu que nous
demandons dans la prière, si nous le décidons. Voilà un signe
indubitable que nous pardonnons, lorsqu'on nous a offensé :
c'est de prier pour notre ennemi, en demandant à Dieu de lui
pardonner, de le convertir et de le conduire lui aussi au salut
éternel. Faites-vous cela ? Même si au niveau de votre
sensibilité, vous continuez à ressentir de l'amertume à son égard,
alors à la bonne heure, vous êtes et vous demeurez dans la logique
de l'amour et du pardon chrétiens. Notez sur la Croix ce que fut la
prière de Jésus pour ses bourreaux : il n'a point dit « Je
vous pardonne », mais il a prié « Père, pardonne-leur,
ils ne savent pas ce qu'ils font ».
Je
conclus. Apprenons à bien distinguer notre volonté, là où nous
sommes vraiment libres de nos choix, et notre sentiment
psychologique, sur lequel nous n'avons pas de prise, et où il ne
peut y avoir de culpabilité, puisque cela ne dépend pas de notre
liberté. Nous avons de la sympathie pour certaines personnes. Nous
ne pouvons en avoir pour tout le monde. Mais ce qui nous est demandé
c'est d'aimer tous les hommes, en leur voulant et en leur faisant
tout le bien possible.
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