Venons-en maintenant à la pratique de la prière de Jésus, qui intéresse un certain nombre de gens aujourd'hui. Mais il y a une question préliminaire: faut-il pousser des chrétiens latins à adopter une forme de prière orientale? En fait la tradition de la prière monologique n'est pas spécifiquement orthodoxe, bien qu'elle soit la plus répandue en orient. Elle a existé aussi chez nous durant le moyen-âge et jusqu'au XVIIe siècle. Malheureusement à la fin de ce siècle-là, elle fut à tort assimilée au quiétisme et ainsi on n'en parla plus guère. Il suffit de lire à ce sujet tous les témoignages que le Père Gueullette, OP, rassemble dans son livre L'assise et la présence, chez Albin Michel.
Le Père Lev Gillet, "le moine de l'Eglise d'orient", nous donne une réponse équilibrée. La prière de Jésus peut être simplement une étape pour certains. Ils la découvrent un jour, la pratiquent puis l'abandonnent pour d'autres formes de prière, qui leur conviennent mieux. D'autres y restent fidèles mais en même temps continuent à pratiquer d'autres formes d'oraison, comme l'oraison discursive, à l'école d'un saint François de Sales par exemple, ou l'adoration eucharistique. Enfin certains vont faire de la prière de Jésus leur voie personnelle et unique vers l'union avec Dieu. A chacun de trouver sa voie et de suivre les grâces personnelles, en se faisant guider. J'ajouterais toutefois que pour les âmes qui vivent dans la vie contemplative et monastique, comme ils n'ont guère besoin de la méditation ou de l'oraison discursive, parce qu'ils vivent baignés dans le mystère de Dieu par la lectio divina et la célébration des offices quotidiens, la prière de Jésus est un chemin merveilleux vers la totale simplification de la vie spirituelle et vers le repos de l'âme.
Quelle formule de prière adopter? Il y a la formule longue: "Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur", ou une formule plus brève: "Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi". Mais on peut simplement dire: "Jésus", et dans ce cas on a au sens littéral une prière monologique, constituée par un seul mot. Cette dernière façon, outre qu'elle est très reposante, semble avoir été la plus fréquente au moyen-âge byzantin, avant que ne se fixe plus tard la formule plus longue qui est devenue traditionnelle en orient. Aussi nous conseillons de ne se contenter de rien d'autre que répéter le nom du Sauveur. Cette façon de faire peut nous conduire à un grand recueillement et à un amour fervent pour le Seigneur. C'est tout à la fois une adoration, une louange, une action de grâce et une supplication. Le saint Nom de Jésus en effet console l'âme dans ses afflictions, apaise les passions mauvaises et chasse les démons.
Quelle posture adopter? Si l'on veut durer dans la prière, il semble que la meilleure posture soit la position assise, mais à condition de ne pas engendrer la somnolence ou la rêverie. Louis de Blois, abbé bénédictin mort en 1566 écrit ceci; "L'ascète ne se fera nul scrupule de demeurer assis en s'adonnant à la contemplation des choses divines, si, comme il peut arriver, il se trouve mieux de cette manière que de toute autre" (Institution spirituelle XII, 3).
Où dire cette prière? La règle est qu'il faut un lieu très tranquille, où on pourra se recueillir facilement. Une chapelle ou une église, bien sûr, mais aussi un coin de prière dans sa chambre ou un endroit paisible dans la nature, si nous avons un tel endroit en été.
Combien de temps? En fait à la longue nous dirons cette prière en tout temps et en tout lieu, même au lit en dormant. Mais il faut un commencement à tout. Le guide spirituel du pèlerin russe demande à son disciple de commencer par dire pendant un certain temps 3 000 fois la prière. Ensuite il devra la dire 6 000 fois et enfin 12 000 fois. Et pour finir le pèlerin russe ne lâchera plus la prière qui deviendra incessante. Pour nos contemporains occidentaux, soyons réaliste. Il est bon de commencer en priant un quart d'heure, puis vingt minutes, puis une demi-heure. La grâce nous poussera ensuite à faire davantage, soit en augmentant le temps de prière, soit en multipliant les temps de la prière au cours de la journée. Petit à petit nous y prendrons goût et nous nous acheminerons vers la prière incessante.
Nous poursuivrons dans la suite en faisant des remarques importantes sur la manière de prier.
A suivre
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