Voici
un extrait particulièrement intéressant d'une lettre que Vladimir
Soloviev écrivait en mai ou juin 1896 à Eugène Tavernier, un de
ses amis parisiens. Elle pourrait bien illustrer ce que j'ai écrit
récemment sur l’œcuménisme et sur l'antéchrist :
"Il
n'y a que trois choses certaines attestées par la Parole de Dieu :
1°
L’Évangile sera prêché par toute la terre, c'est-à-dire que la
vérité sera proposée à tout le genre humain ou à toutes les
nations ;
2°
Le Fils de l'homme ne trouvera que peu de foi sur la terre,
c'est-à-dire que les vrais croyants ne formeront à la fin qu'une
minorité numériquement insignifiante et que la plus grande partie
de l'humanité suivra l'Antéchrist ;
3°
Néanmoins, après une lutte courte et acharnée, le parti du mal
sera vaincu et la minorité des vrais croyants triomphera
complètement. De ces trois vérités aussi simples qu'incontestables
pour tout croyant, je déduis tout le plan de la politique
chrétienne.
Et
d'abord la prédication de l’Évangile par toute la terre, pour
avoir cette importance eschatologique qui lui a valu une mention
spéciale de la part de Notre-Seigneur lui-même, ne peut pas être
limitée à l'acte extérieur de répandre la Bible ou des livres de
prières et de sermons parmi les nègres et les Papous. Ce n'est là
qu'un moyen pour le vrai but, qui est de mettre l'humanité devant le
dilemme : d'accepter ou de rejeter la vérité en connaissance
de cause, c'est-à-dire la vérité bien exposée et bien comprise.
Car il est évident que le fait d'une vérité acceptée ou rejetée
par malentendu ne peut pas décider du sort d'un être raisonnable.
Il s'agit donc d'écarter non seulement l'ignorance matérielle de la
révélation passée, mais aussi l'ignorance formelle concernant les
vérités éternelles, c'est-à-dire d'écarter toutes les erreurs
intellectuelles qui empêchent actuellement les hommes de bien
comprendre la vérité révélée. Il faut que la question d'être ou
de ne pas être vrai croyant ne dépende plus des circonstances
secondaires et des conditions accidentelles, mais qu'elle soit
réduite à ses termes définitifs et inconditionnés, qu'elle puisse
être décidée par un pur acte volitif ou par une détermination
complète de soi-même, absolument morale, ou absolument immorale.
Maintenant,
vous conviendrez sans doute que la doctrine chrétienne n'a pas
atteint actuellement l'état voulu, et qu'elle peut encore être
rejetée par des hommes de bonne foi à cause de réels malentendus
théoriques. Il s'agit donc :
1°
D'une instauration générale de la philosophie chrétienne, sans
quoi la prédication de l’Évangile ne peut être effectuée ;
2°
S'il est certain que la vérité ne sera définitivement acceptée
que par une minorité plus ou moins persécutée, il faut pour tout
de bon abandonner l'idée de la puissance et de la grandeur
extérieures de la théocratie comme but direct et immédiat de la
politique chrétienne. Ce but est la justice ; et la gloire
n'est qu'une conséquence qui viendra se soi-même ;
3°
Enfin, la certitude du triomphe définitif pour la minorité des
vrais croyants ne doit pas nous mener à l'attente passive. Ce
triomphe ne peut pas être un miracle pur et simple, un acte absolu
de la toute-puissance divine de Jésus-Christ, car s'il en était
ainsi toute l'histoire du christianisme serait superflue. Il est
évident que Jésus-Christ, pour triompher justement et
raisonnablement de l'Antéchrist, a besoin de notre collaboration ;
et puisque les vrais croyants ne sont et ne seront qu'une minorité,
ils doivent d'autant plus satisfaire aux conditions de leur force
qualitative et intrinsèque ; la première de ces conditions est
l'unité morale et religieuse qui ne peut pas être arbitrairement
établie, mais doit avoir une base légitime et traditionnelle, —
c'est une obligation imposée par la piété. Et,
comme il n'y a dans le monde chrétien qu'un seul centre d'unité
légitime et traditionnel, il s'ensuit que les vrais croyants doivent
se rallier autour de lui (Note : c'est Rome dont parle ici
Soloviev) ; ce qui
est d'autant plus idoine qu'il n'a plus de pouvoir extérieur
compulsif et que, partant, chacun peut s'y rallier dans la mesure
indiquée par sa conscience. Je sais qu'il y a des prêtres et des
moines qui pensent autrement et qui demandent qu'on s'abandonne à
l'autorité ecclésiastique sans réserve, comme à Dieu. C'est une
erreur qu'il faudra nommer hérésie, quand elle sera nettement
formulée. Il faut s'attendre à ce que quatre-vingt-dix-neuf pour
cent des prêtres et moines se déclareront pour l'Antéchrist. C'est
leur bon droit et leur affaire."
La
dernière phrase citée est forte sans aucun doute ; elle
concerne ce mystère de l'apostasie universelle à la fin des temps.
La phrase qui précède me semble obscure et je ne vois pas ce que
Soloviev entend par cette hérésie dont il parle. Je résume donc
ainsi sa pensée :
vers la fin des temps
nous assisterions à un double mouvement : une apostasie massive
dans l’Église et l'unité des vrais croyants en une seule Église,
autour du pape de Rome. C'est cette conviction qu'il a voulu
illustrer dans son Court récit sur l'Antéchrist.
SI je comprends bien Soloviev, l'hérésie dont il parle c'est de "s'abandonner sans réserve à l'autorité ecclésiastique, comme à Dieu". Il distingue donc Eglise et Dieu : on peut s'abandonner à Dieu, mais pas à l'autorité de Eglise... si elle enseigne un "autre évangile" comme disait S. Paul.
RépondreSupprimerNous avons là une piste intéressante pour qui sait lire les signes des temps...
Merci de votre commentaire. En effet Soloviev dans son court récit sur l'antéchrist parle d'une apostasie quasi générale de la hiérarchie.
SupprimerTexte à resituer dans son contexte, c.-à-d. en 1896. On est aujourd'hui en 2016. Transposer de manière littérale un texte à 120 ans d'écart est une insulte à l'intelligence et au travail de critique historique qui doit présider à tout examen de document...
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