jeudi 4 août 2016

Les symboles liturgiques et la transmission de la Tradition, article paru dans la revue catholique russe Radouga

Liturgie et Tradition
La liturgie de l’Eglise rend présent le mystère du Christ, le seul Sauveur, et surtout le mystère de sa mort et de sa résurrection. La liturgie en même temps nous fait participer à la vie du Ressuscité et ainsi par le don de l’Esprit nous fait réellement enfants du Père. Dans l’action liturgique, nous sommes vraiment chez nous dans la maison de Dieu. Le Ciel est rendu présent sur la terre.
La Tradition nous transmet la foi de l'Église, et cette foi nous procure la vie éternelle. Il ne faut donc jamais séparer, en particulier dans le domaine de la catéchèse, la connaissance de Dieu, c'est-à-dire du mystère du Christ, de la vie surnaturelle que nous commençons à posséder par la foi et qui est sans cesse nourrie dans l’action liturgique.
Une réflexion sur l’étymologie du terme Tradition vaut la peine d’être esquissée ici. Le mot latin tradere signifie livrer. C’est le verbe qu’on utilisera pour dire que le Seigneur s’est livré pour notre salut. Cela signifie, ni plus ni moins, que l’origine, la source de la Tradition, c’est en fin de compte le mystère central de notre foi : l’acte par lequel le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi, dans le mystère de sa Pâque, c’est-à-dire de sa mort et de sa résurrection.

Les symboles qui sont utilisés dans la liturgie ont de près ou de loin un lien avec le mystère central de notre foi et avec la vie surnaturelle qui nous est donnée par la foi et la participation sacramentelle au mystère de la mort et de la résurrection du Sauveur. Il y a deux exemples particulièrement significatifs, dont je voudrais parler dans un premier temps, du fait que ce sont deux symboles liturgiques majeurs, mais qui débordent la liturgie, du fait qu’ils sont entrés dans la vie spirituelle quotidienne de tout chrétien : le signe de la croix et l’eau bénite. Je parlerai ensuite de ce symbolisme riche et récapitulatif du mystère qu’est le plan classique d’une église.
Le signe de croix
Dans la liturgie selon Vatican II, il y a davantage de sobriété qu’auparavant dans l’utilisation du signe de croix. Un seul exemple : dans l’épiclèse pré-consécratoire, le célébrant fait un signe de croix sur les espèces du pain et du vin, alors que dans la messe tridentine, il en faisait cinq. Mais il faut interpréter cette réduction comme une mise en valeur. D’autre part, la liturgie actuelle a remis en valeur le geste évangélique de l’imposition des mains, qui remplace parfois le signe de croix utilisé auparavant : par exemple, dans l’exorcisme pré-baptismal, ou dans certains rites de bénédiction. Le signe de la croix demeure principalement dans la bénédiction des personnes ou des objets de piété, mais dans le cas de bénédiction de réalités sur lesquelles l’homme a moins prise, on privilégie l’élévation des mains : bénédiction de la mer par exemple. Mais cela ne change rien à la réalité profonde, du fait que Jésus dans son ministère a largement pratiqué l’imposition des mains (exorcismes, guérisons) et a demandé à ses disciples d’en faire autant. Jésus est sauveur déjà dans le mystère de son incarnation, son corps (même la frange de son vêtement) est le canal de la grâce, et rien dans sa vie humaine n’est à détacher du mystère de sa mort et de sa résurrection, point culminant de sa mission filiale de salut pour le monde.
Le signe de croix nous transmet et nous rappelle une réalité des plus fondamentales : nous sommes chrétiens parce que nous avons la vie du Christ en nous par la grâce. Et c’est de la croix qu’a jailli notre résurrection. Par la Croix, la vie et la joie sont entrées dans le monde. Dans la vie quotidienne du chrétien, faire dévotement et consciemment le signe de la croix nous apporte la grâce du Christ. Le signe de la croix fortifie notre foi, notre espérance et notre charité. Il éloigne de nous la tentation. Dans l’épreuve et dans l’aridité spirituelle, quand par exemple la prière nous semble impossible humainement à cause de la fatigue et de la faiblesse, faire le signe de croix est un acte de foi et une prière. Ce simple parfois remet tout en ordre et nous fait reprendre le chemin de la prière profonde et d’une union plus forte avec le Christ. On se rappellera ici non sans émotion le signe de croix d’Ingrid Bétancourt, juste après sa libération : c’était une formidable action de grâce et un hommage à Dieu, fait en union avec la Sainte Vierge, et qui d’une certaine manière exprimait l’âme de celle qui se signait ainsi à la face du monde. Quel signe pour notre temps !
En effet ce signe de la croix contient vraiment toute la tradition de l’Eglise : le mystère du salut par la Croix et le mystère de la Sainte Trinité. Il est le signe par excellence du chrétien. En le faisant au début de toute prière, si nous le faisons avec une vraie conscience spirituelle, nous sommes d’emblée plongés en Dieu : enfants du Père, membres du Christ, hôtes de l’Esprit.
On raconte je crois du bienheureux dom Marmion, abbé de Maredsous, que lorsqu’il entrait à l’église pour la prière, il plongeait sa main dans le bénitier, faisait un très large signe de croix, avec une profonde conscience spirituelle du geste ainsi accompli, et secouant énergiquement la main, jetait à terre la dernière goutte d’eau bénite. Il montrait ainsi qu’en entrant dans la maison du Père, il se plongeait filialement dans la totalité du mystère et de la vie, qu’il entrait dans le monde de Dieu et de l’éternité… et laissait tomber tout le reste, tout ce qui appartient à la caducité de notre existence d’ici-bas.
L’eau bénite
Venons-en maintenant au symbolisme si riche de l’eau ; que ce soit l’eau baptismale ou l’eau bénite. Les deux du reste sont liés, car prendre l’eau bénite nous rappelle en premier lieu notre baptême. D’après la Tradition, lors de son baptême au Jourdain, le Christ a sanctifié les eaux. L’eau est à la fois symbole de vie et symbole de mort. Le déluge est la destruction d’un monde de péché et la venue d’un monde nouveau, avec lequel Dieu fait alliance. La mer rouge engloutit l’oppresseur mais le peuple de Dieu y trouve la libération de la servitude ancienne. En outre, comme on peut le voir dans les icônes orientales du baptême au Jourdain, les eaux étaient considérées comme le repaire du démon. Le baptême par immersion symbolise la mort au péché et la naissance à la vie surnaturelle du chrétien, qui participe ainsi sacramentellement à la mort et à la résurrection de son Seigneur.
La descente du Christ dans les eaux du Jourdain et sa remontée préfigure son ensevelissement dans la mort, sa descente aux enfers et sa résurrection. Le Fils s’humilie dans l’obéissance au Père et cette humiliation culminera dans le don total de la mort sur la Croix et la mise au tombeau. Mais lorsqu’il remonte des eaux du Jourdain, les cieux s’ouvrent et la voix du Père se fait entendre : Celui-ci est mon Fils bien-aimé.
L’eau bénite nous rappelle donc que par le Christ, nous sommes nous aussi enfants bien-aimés du Père, que nous sommes des vivants. Par l’eau bénite, la vie du ressuscité se répand comme la rosée sur toutes les réalités qui nous entourent : les lieux où nous vivons, les objets qui nous aident à entrer par la prière dans l’intimité divine (chapelet, crucifix…) ou qui nous permettent de nous mettre à son service pour la mission (voiture), et aussi les animaux. Tout le cosmos est imprégné de la vie nouvelle, et même le monde invisible, comme en témoigne la coutume de jeter de l’eau bénite aux âmes du purgatoire. 
Le grand mystère de la descente dans les eaux du Christ, préfiguration de sa Pâque et de notre baptême, c’est le salut de la totalité de l’univers créé, marqué certes par le péché, mais qui gémit dans l’attente de la libération définitive.
L’église, symbole de l’histoire du salut et de la totalité du mystère
Une église représente dans sa structure spatiale une multitude de choses. Limitons-nous à quelques points.
Il y a d’abord la séparation entre le sanctuaire et la nef. Il s’agit parfois seulement de trois marches qui font que le sanctuaire est surélevé par rapport à la nef. La nef représente notre situation présente de pèlerins en route vers les réalités dernières. Nous ne sommes pas encore au but, nous sommes encore dans le régime de la foi et de l’espérance. Face à nous, en principe du côté de l’orient, lieu où la Bible et la Tradition ancienne plaçait l’Eden, se trouve le sanctuaire, lieu de la présence du Christ, image du sanctuaire céleste, où célèbre le prêtre véritable, entouré des anges et des saints, le Christ, dont le prêtre de la terre n’est en somme que l’icône. La célébration nous apparaît ainsi comme un dialogue entre le Christ, qui nous précède dans le Ciel, où il nous prépare notre place, et son épouse qui est encore sur la terre, en route vers l’accomplissement final, où Dieu sera tout en tous. On pourrait aussi signaler ici qu’il existe des églises du moyen âge, avec transept croisant la nef, et un sanctuaire légèrement désaxé, par rapport à la nef. Le bâtiment dans ce cas représente le Christ en croix, inclinant la tête pour remettre son esprit. Bel exemple de plus pour montrer que le sanctuaire représente le Christ principe et chef, tête de son corps qui est l’Eglise, vivifiée par l’Esprit Saint et par les sacrements qui découlent du côté transpercé.
L’antique tradition de prier, tourné vers l’orient, conservée si l’église est orientée, c’est-à-dire tournée vers l’orient, est riche de signification. Le soleil se levant à l’orient symbolise le Christ qui ressuscite, qui reviendra vers nous à la fin des temps, et qui revient déjà vers nous en chaque célébration eucharistique. Dans la liturgie traditionnelle, le célébrant est comme l’assemblée face au Christ qui revient. On peut dire aussi que le célébrant représente le Christ, tête de l’Eglise, médiateur entre Dieu et les hommes, et qui fait monter vers le Père l’action de grâce de tout son corps mystique, l’Eglise.
Par contre le mode actuel de la célébration place le célébrant face à l’assemblée. Cela met en valeur un autre symbolisme : le Christ miséricordieux regarde avec amour son corps mystique et lui offre son pardon, sa grâce et son amour. Nous voyons ainsi que quelles que soient les diverses formes que peut prendre la liturgie, il y a toujours quelque chose du mystère qui est mis en valeur.
Conclusion
Il serait profitable que dans la catéchèse et la prédication, on explique de temps en temps les symboles liturgiques. Cela parle au sens et au cœur, à la totalité de l’être humain, régénéré dans le Christ. Tout le monde les comprend facilement et la vie de foi deviendra ainsi plus consciente et plus vivante et illuminera le reste de l’existence.


       Père Simon, OSB

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