Je vous partage l'homélie de mon confrère Ugo Zanetti, prêtre-moine à Chevetogne pour ce lundi de Pâques au rite byzantin. Elle m'a beaucoup apporté et j'espère qu'elle vous apportera beaucoup. L'évangile au rite byzantin était pour ce lundi la péricope de Jean 1, 18-28. Au rite byzantin en effet on commence à Pâques la lecture de l'évangile de saint Jean qui durera en semaine jusqu'à la fin du temps pascal.
« Dieu,
personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, celui qui est dans le
sein du Père, c’est Lui qui nous l’a donné à connaître
(ἐξηγήσατο) » (Jn 1,18). Remarquons bien que
l’évangéliste ne dit pas qu’Il nous l’a fait voir, car
ce serait en contradiction avec l’affirmation catégorique de
l’A.T.: « Ma face, nul ne peut la voir » (cf. Ex
33,23; 1 Rs 19,12s).
Et puisque nous
ne pouvons connaître que des personnes ou des objets créés Dieu,
ne pouvant se faire connaître à nous directement, a choisi d’entrer
Lui-même dans la création, comme une créature, pour pouvoir nous
parler un langage qui soit à notre mesure. Non seulement un langage
de paroles, comme celles que Dieu avait adressées au peuple d’Israël
à travers les prophètes, ni même les paroles que Moïse a
entendues sur le mont Sinaï, mais un « langage » concret, la
manière de vivre du Verbe de Vie qui est venu sur terre et a
habité parmi les hommes (anaphore de Basile). « En ces jours
qui sont les derniers, Il nous a parlé par le Fils qui est la
splendeur de Sa gloire et l'empreinte de Sa substance »
(Hb 1,3). Ce Fils nous a montré dans son humanité qui est Dieu,
aimant jusqu’au bout (Jn 13,1), jusqu’à donner sa vie en
pardonnant du fond du coeur à ceux-là même qui le crucifiaient en
dépit de toute justice (Lc 23,24). Et, dans sa Résurrection, Il
nous a permis de percevoir ce qu’est la vie éternelle à laquelle
Il nous invite. Lui-même est ressuscité, car il n’était pas
possible que l’auteur de la vie fût soumis à la corruption
(anaphore de Basile), et ce faisant Il nous a aussi donné une idée
de ce que pourra être, pour nous créatures, la vie éternelle. Tout
en gardant toute sa personnalité terrestre, Jésus Ressuscité n’est
plus enfermé dans les limites de la matière : on le reconnaît, on
peut toucher les plaies de la crucifixion, lui offrir à manger…
mais Il n’est plus tout à fait le même, puisqu’Il est partout à
la fois, qu’Il entre et sort toutes portes fermées. Il est même
dit que, lors de l’apparition finale de Jésus sur la montagne de
Galilée, « quelques-uns, cependant, hésitèrent »
(Mt 28,17), ce qui montre bien que ni la réalité de la
Résurrection, ni l’existence de Dieu, ne s’imposent jamais,
justement parce que Dieu veut absolument respecter notre liberté.
En fait, Dieu ne pouvait pas se faire
connaître autrement, car si Dieu est « amour sans limites »,
Il est aussi « respect sans limites ». Il veut nous
donner accès à la vie éternelle auprès de Lui, mais Il s’interdit
de nous l’imposer, car ce serait nous faire violence, cela ne
respecterait pas notre autonomie, et nous empêcherait par le fait
même de répondre librement à son amour – puisque l’amour ne
peut être qu’un acte de souveraine liberté de la part de chacun
de ceux qui aiment. Il ne pouvait donc nous parler que par l’exemple,
et nous révéler ce que nous pouvons comprendre par analogie avec
notre condition terrestre. C’est pourquoi nous disons que c’est
la 2e Personne de la Trinité qui s’est incarnée,
prenant appui sur les paroles même de Jésus qui appelle Dieu «
Père », alors qu’il est bien évident qu’il ne s’agit pas
d’un engendrement comme celui que pratique l’humanité. De même,
l’Esprit-Saint, que nous appelons la 3e Personne de la
Trinité, vit et agit, mais Il n’est bien sûr ni une colombe ni
une langue de feu. Cette analogie terrestre nous permet toutefois de
comprendre que Dieu, tout en étant absolument unique, n’est pas
non plus une monade enfermée en elle-même, mais qu’Il est par
excellence un être de communion, la communion la plus parfaite qui
soit, entre les Personnes divines. C’est à cette communion-là que
nous sommes invités à prendre part, tout êtres limités que nous
soyons, et Jésus nous l’a fait comprendre en nous invitant à
appeler à notre tour Dieu « notre Père » (Mt 6,9). Grâce à
l’Incarnation, la première épître de Jean peut affirmer : «
Ce qui était au commencement, ce que nous avons entendu, ce que
nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos
mains ont touché, concernant la parole de vie, … ce que nous avons
vu et entendu, nous vous l'annonçons, afin que, vous aussi, vous
soyez en communion avec nous, et que notre communion soit avec le
Père, et avec Son Fils Jésus-Christ … et que notre joie soit
parfaite » (1 Jn 1,1-4 passim).
À coup sûr, aussi longtemps que nous
sommes sur cette terre, notre communion avec Lui est limitée, mais
chacun de nous est libre de l’approfondir dans la mesure même où
il s’investit dans cette relation, par la prière et surtout en
mettant en pratique ses commandements. Mais, après notre mort, nous
sommes appelés à vivre cette communion d’une manière dont la
Résurrection de Jésus nous donne l’image : pour autant que
nous puissions le comprendre aujourd’hui, grâce à la miséricorde
de Dieu, qui nous « purifiera de tout péché » (1 Jn 1,9),
notre personnalité sera préservée, mais elle ne sera plus retenue
par les limites de la création, et c’est ainsi que nous pourrons
alors « Le connaître tel qu’Il est », réalisant en même
temps la parole dite par Dieu à Moïse : « Car il
n’est pas possible de voir ma face et de vivre » (Ex
33,20). Nous ne vivrons plus de la vie terrestre, et nous pourrons
dès lors « voir sa face ». Comme l’exprime
bien, une fois encore, la première épître de Jean :
« Bien-aimés, nous sommes dès maintenant enfants de Dieu,
et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons
que, lorsque ce sera manifesté, nous serons semblables à Lui, parce
que nous Le verrons tel qu'Il est » (1 Jn 3,2). Quel est le sens
exact de ces dernières paroles, nous ne pouvons pas le savoir
aujourd’hui, dans les limites d’une existence terrestre, mais
nous le connaîtrons alors.
Toutefois, puisqu’il est question d’images permettant de
comprendre des réalités qui nous dépassent, nous pouvons dès
maintenant, dans la personne de la Vierge Marie, nous figurer quelque
chose de ce que nous pourrons devenir. Elle qui a totalement adhéré
à la volonté de Dieu dans toute son existence, par son « oui »
lors de l’Annonciation, confirmé au pied de la Croix où elle
s’est associée au « oui » de son Fils qui venait de
dire « Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux »
(Lc 22,42), Marie est la figure même de la créature qui vit à la
perfection la condition d’« enfant de Dieu », et c’est
d’ailleurs pourquoi elle a été tellement associée à la
Résurrection de son Fils qu’elle n’a pas eu besoin d’apparition
pour savoir qu’Il était ressuscité. Dans sa mort terrestre
elle-même, Marie est entrée dans la communion éternelle que Dieu
propose à toute ses créatures dès avant la Résurrection finale
(celle du « Dernier jour ») ; et cela vaut, bien sûr, aussi
pour les autres saints, dans la mesure propre à chacun, que Dieu
seul connaît. C’est sans doute pour cela que Marie, et les autres
saints aussi, peuvent être partout sans être enfermés nulle part,
qu’ils peuvent venir en aide à tous ceux qui invoquent leur aide
dans tous les temps et tous les lieux, sans connaître autre limite
que celle de l’Amour de Dieu, dont la mesure de l’amour est
d’aimer sans mesure. Qu’ils nous apprennent à entrer, à notre
tour, dans cette plénitude de la joie qui est propre à ceux
qui, avec le Bon Larron, demandent à Jésus : « Souviens-toi
de moi, Seigneur, quand tu entreras dans ton Royaume », de
ceux qui confessent leurs fautes et que le sang de Jésus purifie
de tout péché (1 Jn 1,7) !
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