En conclusion de la semaine de prière pour l'unité des chrétiens, le père Jean Geysens, moine de Chevetogne, a fait part de ses réflexions à sa communauté monastique, par une causerie dont nous avons le plaisir de vous donner le texte.
Le
passage de l'évangile proposé pour ce dernier jour vient de Jean
17. Il y a un beau petit n° du Catéchisme de l'Eglise Catholique à
cet égard : Dans cette prière Pascale, sacrificielle, tout
est récapitulé en Lui : Dieu et le monde, le Verbe et la
chair, la vie éternelle et le temps, l'amour qui se livre et le
péché qui le trahit, les disciples présents et ceux qui croiront
en Lui par leur parole, l'abaissement et la gloire. Elle est la
prière de l'Unité (n° 2748).
Précisément : de quelle unité s'agit-il dans la prière dite
sacerdotale du Christ, cité très souvent en contexte œcuménique ?
Jusqu'aux premières décennies du XXème siècle, ces paroles
(surtout le vs. 21) ont été comprises surtout comme une prière
pour l'union de l'homme avec Dieu. Il s'agit d'une unité qui
s'enracine en Dieu. Etre ancrés, enracinés, en Dieu, ainsi est la
préoccupation principale de Jésus dans cette partie du discours
d'adieu. L'unité entre les hommes et entre les disciples en
particulier ne pourra devenir effective que si elle est basée sur ce
qui est essentiel dans la foi, à savoir : l'union à Dieu, qui
est la condition pour arriver à l'unité en Dieu.
Donc, la prière
de l'Unité en Jn 17 a d'abord une signification mystique –
participer consciemment à la vie trinitaire – et donne une
dimension eschatologique au pèlerinage de la foi vers la Jérusalem
céleste, « Jérusalem, ville où tout ensemble ne fait qu'un »
(Ps 121, 3). Nous nous sommes un peu éloignés de la perspective de
l'unité visible telle que le mouvement œcuménique – en tout cas
en partie – la conçoit. Et justement, je voudrais méditer un peu
avec vous autour de cette question : unité visible, oui, mais
qu'est-ce à dire ? Qu'est-ce que cela signifie ? Mon
propos manquera de logique, vous êtes avertis. Mais la vie, aussi la
vie œcuménique, est souvent un puzzle où on ne trouve pas – pas
encore – où insérer certaines pièces. En attendant, c'est un peu
confus. Je vais essayer de décrire quelques paradoxes, ou même des
perplexités – je veux dire en regardant le monde des chrétiens
d'aujourd'hui et de hier – pour finalement opter pour l'espérance
de la gloire, cette gloire que la prière de Jean 17 identifie en
quelque sorte avec l'unité en Dieu.
Donc : unité visible,
oui, mais laquelle ? Si l'on pense arriver un jour à une unité
visible dans le sens institutionnel, cela semble plutôt une utopie,
vu la faiblesse humaine dans histoire, marquée par le péché et la
grâce. Il y aura sans doute toujours des groupes, assez importants
peut-être, de chrétiens qui ne voudront pas s'y associer.
Néanmoins, une utopie, déjà au plan humain, social, peut toujours
appeler à une dynamique. Et ainsi on peut aller de rapprochement en
rapprochement. Plus on se rapproche entre disciples, plus on
s'approche du Christ, plus on fait de place pour sa venue. Sa venue
en gloire. L'unité visible en plénitude ne sera sans doute réalisée
qu'au Jour de la Parousie.
Mais,
je dois nuancer cette approche purement eschatologique de l'unité.
Car il y a certainement des unités visibles partielles possibles
dans l'histoire.Prenons l'exemple de l'Eglise Catholique et l'Eglise
ou les Eglises Orthodoxes. Comme le P. Louis Bouyer a écrit déjà
dans les années '70 : avec plus de bonne volonté de part et
d'autre, ce retour à la pleine communion aurait déjà dû être
réalisé. On peut aussi relativiser l'exemplarité du premier
millénaire – que l'on a tendance à prendre pour modèle – car
les relations entre Rome et Constantinople, par exemple, sont
beaucoup plus cordiales depuis le Bx. Pape Paul VI et le patriarche
Athénagoras, qu'à certaines époques du premier millénaire, même
celles où la communion sacramentelle était maintenue. Il faut oser
chercher d'autres modèles que ceux du passé. Mais ceci est un autre
sujet.
Je laisse la question de
l'unité visible en suspens. Je voudrais aborder une autre question.
On ne distingue pas assez, me semble-t-il, entre unité (ou pleine
communion ecclésiale) et réconciliation. La dernière devrait être
toujours et partout possible entre chrétiens et malheureusement elle
ne l'est pas encore. Je veux dire ceci : il devrait être
possible en tout lieu d'avoir des relations humaines normales –
c'est un minimum au-dessous de la mesure évangélique – et des
relations cordiales en tant que disciples du Christ, au-delà de nos
divergences doctrinales et autres. Je crois que dans les Pays-Bas et
en Allemagne, ainsi qu'en France ceci se vit déjà. Mais quand on
apprend qu'en Irlande du Nord, à Belfast par exemple, un catholique
ne peut entrer qu'à ses risques et périls dans un quartier
protestant, et l'inverse ! Il y a encore quelques années on a
intimidé des jeunes filles d'une école primaire catholique, qui
doivent passer près d'un quartier protestant. On parle même d'un
lynchage d'un ouvrier. Et sans doute que tous ces gens sont
complètement indifférents ou presque pour les querelles
théologiques qui sont à l'origine des divisions confessionnelles.
Donc urgence de continuer à oeuvrer pour la réconciliation, là où
elle n'est pas encore en place. En Grèce on peut rencontrer une
marque plus bénigne de cela, lorsque – tout en restant poli – on
vous fait sentir que vous n'êtes pas du même bord, qu'il faut
maintenir une distance et si l'on se parle on pose vite des questions
polémiques : par exemple, pourquoi avez-vous supprimé telle
fête ? (il s'agissait de saint Georges). Donc, il y a encore du
chemin à parcourir pour une réconciliation en profondeur.
Elle ne suffit pourtant pas
pour parler d'unité. Nous revenons constamment à la question
initiale, de savoir comment comprendre l'unité visible de l'Eglise,
dans l'histoire. Souvent on évoque une unité originelle de
l'Eglise, qui s'est brisée ensuite, de sorte qu'on parle alors de
l'histoire de nos divisions. Jusqu'à un certain degré, cette idée
est correcte, en ce sens qu'elle contemple l'événement de la
Pentecôte – avec la belle diversité des dons de l'Esprit dans
l'unité de la foi. Puis, on peut encore en parler en lisant la
description des Actes des Apôtres de la première communauté de
Jérusalem, avec cette expression – si chère à un saint Augustin
- « la multitude des croyants n'avait qu'un coeur et qu'une
âme ». C'est sans doute déjà un portrait quelque peu
idéalisé car d'autres passages des Actes montrent des tensions et
des conflits. Mais ceux-ci ne veulent pas immédiatement dire que la
communion n'existait plus. Comment cette communion a-t-elle continuée
lorsque de plus en plus de communautés ont été fondées, surtout
avec l'entrée des païens dans l'Eglise ? Cette unité,
pouvait-elle se manifester, être visible, et comment ? Pour
nous, qui avons le NT devant nous comme un ensemble d'écrits
inspirés qui forment les livres canoniques, il est clair que les
différents regards posés sur Jésus le Christ, se complètent,
s'harmonisent. Mais au moment même de leur rédaction – lors de la
prédication d'une église locale – ce n'était sans doute pas si
évident. Si l'on lit la 1ère épître de saint Paul aux
Corinthiens, on voit une église avec des divisions internes, que
l'apôtre exhorte à vaincre. Ailleurs, il y a question de scissions,
de ceux qui sont partis, des faux docteurs, ceux qui cherchent à
égarer les fidèles, ceux qui ne demeurent pas dans la doctrine du
Christ : je fais référence surtout aux épîtres de saint
Jean, à la deuxième de saint Pierre et à celle de Jude. Bien sûr,
qu'on peut dire qu'il s'agissait de groupes schismatiques et parfois
hérétiques. Je pense à la gnose, aussi. Néanmoins, au plan
historique, nous ne savons pas exactement ce qui s'est passé. Je
pense par exemple – pour l'époque après la rédaction du NT – à
ce qui est arrivé avec les communautés judéo-chrétiennes.
Toujours plus marginalisées à cause de l'évolution de la grande
Eglise dans un sens toujours plus hellénique jusqu'au moment où
elles étaient considérées comme sectaires. Certains diront –
peut-être de façon exagérée – que la foi chrétienne devenait
surtout une matière à penser plutôt qu'une sagesse pratique,
incarnée dans la vie, donc plutôt grecque que sémitique.
Apparemment je suis bien éloigné de l'oecuménisme au sens strict.
J'y reviens, car justement, après ces considérations concernant les
débuts du christianisme – où l'on ne voit pas d'unité évidente
pour tous – je saute en plein 16ème siècle. A vrai dire je suis
assez réticent devant toutes ces demandes de pardon pour nos
divisions, surtout quand on les entend être lus par des braves
personnes – souvent d'un certain âge – lors de célébrations
oecuméniques, comme si nous sommes toujours responsables pour les
fautes de nos ancêtres. J'irai même jusqu'à dire que je crois en
grande partie en la bonne foi de nos ancêtres, des deux côtés.
C'est cela qui rend la chose difficile. Car, justement, à base même
de certains textes du NT, on se croyait obligé en conscience de
considérer telle ou telle position comme déviante, hérétique. On
ne pouvait pas voir – comme nous, avec le recul de l'histoire –
que l'on défendait d'autres aspects du mystère et qu'il restait
beaucoup – l'essentiel même – qu'on avait en commun. Je donne un
exemple. Lorsqu'un catholique et un orthodoxe lisait dans
l'Institution de Calvin comment, en moins d'une page, il détruit le
Concile de Nicée II, en tout cas tout ce qui concerne la vénération
des saintes images/icônes, c'est normal qu'on l'a considéré comme
hérétique, car renouant avec les iconoclastes. Pour Calvin, d'autre
part, l'Eglise romaine était corrompue, depuis le dernier bon pape,
saint Grégoire le Grand et depuis l'époque de saint Augustin, où
il y avait encore des moines bons chrétiens. Je pense que
l'historiographie protestante elle-même ne partage plus ce jugement
de Calvin sur les siècles écoulés entres l'époque des Pères et
son temps. De même on a pu créer des divisions – notamment dans
les ordres religieux – pour la bonne cause d'une réforme. Sainte
Thérèse de Jésus voulait une juste autonomie juridique pour son
premier petit Carmel réformé et ce n'est qu'après maints combats
que tout le monde a reconnu qu'il s'agissait d'un nouveau charisme,
qui avait besoin de cette autonomie par rapport à l'institution d'où
elle (T.) était partie. Je fais de nouveau un saut, et je veux citer
d'un article d'Irénikon, l'article du pasteur Carmine Napolitano :
Les pentecôtistes et l'oecuménisme qui viendra , là
où il dit (dans la partie : 'aspects problématiques du rapport
des Pentecôtistes avec l'oecuménisme') : « Donc, l'unité
ne peut être recherchée à tout prix parce qu'il y a des formes
d'unité qui produisent l'infidélité envers la Parole de Dieu, et
par conséquent, la division devient nécessaire (Lc 12, 51 ; 1
Co 11, 19) ». Je le cite, non pas que je me reconnais en tout
ce qu'il écrit, mais pour illustrer mon propos, car je pense qu'au
16ième siècle on s'est basé sur cette conviction, de part et
d'autre.
Il serait d'ailleurs une bonne
chose, si à l'intérieur même de chaque Eglise, de chaque
confession, on essayait de vivre des divisions réelles en maintenant
la tension dans le dialogue et dans le silence, sans rupture de la
communion. Je donne un exemple concret. L'Eglise catholique – comme
l'Orthodoxe – possède une doctrine morale et sociale assez
développée que l'on retrouve dans des documents officiels.
Pourtant, un regard protestant sur nous autres, va nous révéler que
derrière d'autres options pastorales, il y a des interprétations
parfois très différentes de la doctrine. La lettre de l'épiscopat
polonais sur l'exhortation postsynodale Amoris Laetitia
dit que tout reste comme par le passé, rien ne change. La lettre
pastorale de l'épiscopat de Malte, dit autre chose et donne des
exemples qui vont plus loin que ce qui était officiellement admis.
Je n'entre pas dans cette discussion. On peut interpréter cette
situation comme une augmentation de division. Les questions éthiques,
notamment, ne divisent pas seulement les Eglises entre elles, mais
aussi en elles-mêmes, même si c'est difficile pour certaines de
l'admettre. J'ose suggérer de voir cette situation non pas de façon
dramatique, mais plutôt comme un défi oecuménique supplémentaire.
On est finalement tous confrontés avec des problèmes nouveaux,
auxquels nous n'avons pas de réponses toutes faites. Cela vaut aussi
pour d'autres domaines. Il faut qu'on se laisse interpeller par les
questions qui sont ouvertement débattues dans d'autres Eglises,
lorsque dans la sienne propre certains sujets sont tabous. Déjà je
regrette que notre Eglise, pour des matières beaucoup moins
sensibles, ne s'ouvre pas à des possibilités spirituelles autres et
qui ne demandent même pas d'évolution dans la doctrine, je pense
notamment au sacerdoce marié. Même un cardinal réputé 'ouvert',
comme Cardinal Marx (Munich) hésite sur l'ordination d'hommes mariés
en Occident, avec une motivation très ambiguë, c.à.d. Que cette
nouvelle pratique pourrait décourager ceux qui ont été ordonnés
dans le célibat ! Pour revenir encore à la morale. Une
interrogation d'un autre cardinal germanophone, Christophe Schönborn
(Vienne), après le synode sur la famille, me semble ouvrir des
pistes de réflexion, avec incidence oecuménique, lorsqu'il disait
qu'il voit un parallèle possible entre la reconnaissance par Vatican
II d'éléments d'ecclésialité hors de la visibilité de l'unité
de l'Eglise catholique romaine ET l'existence d'éléments de
moralité hors de situations régulières, donc hors de la norme
doctrinale. Evidemment après beaucoup de discernement.
En conclusion, je voudrais
insister sur la dimension missionnaire : sans chrétiens
confessants on ne peut pas construite l'Eglise du Christ. On ne peut
pas se contenter des valeurs chrétiennes ou des chrétiens anonymes.
Je pense à l'effort missionnaire déployé par les moines au 19ième
et dans la première moitié du 20ème siècle, ici en Europe
occidentale. Cette nouvelle évangélisation, a peut-être mauvaise
presse chez certains à cause du goût de pouvoir temporel qui peut y
être associé ça et là, mais quoi de plus logique avec une solide
théologie et spiritualité du baptême, que de souhaiter que les
nombreux baptisés mais non vraiment initiés dans la foi et la vie
chrétiennes, puissent en découvrir la beauté et la force de
transformation de leur vie en louange de gloire ? Les
Evangéliques nous reprochent – avec tact – que nous, les cathos,
et sans doute aussi les orthodoxes, ne nous occupons pas assez de
l'essentiel dans la vie de l'Eglise, à savoir la rencontre avec le
Dieu vivant en JC.
La gloire, voilà, la dimension
eschatologique, enfant pauvre au Concile Vatican II, qui baignait
dans l'optimisme économique et sociétale des années '60. Notre
temps de crise offre une nouvelle possibilité pour l'espérance de
la gloire, celle de la venue du Christ. C'est ici que le témoignage
des religieux est important pour maintenir cette tension dans
l'Eglise. Important aussi pour l'oecuménisme : tout en
s'efforçant de se rapprocher le plus possible d'une réelle unité
dans l'histoire, en même temps, viser au-delà. Je regrette qu'en
Flandre, il est devenu normal de laisser tomber la prière de
l'embolisme après le Notre Père : c'est justement là que la
bienheureuse espérance est exprimée.
Nous
devons aussi redécouvrir en Eglise la vraie intercession,
qui est autre chose que les intercessions (prière universelle) que
l'on entend souvent dans les églises surtout paroissiales, où l'on
a l'impression que l'on veut surtout sensibiliser l'opinion publique
des fidèles, les motiver pour faire des choses et informer de façon
immodérée le Seigneur. Souvent on n'ose pas demander ce qu'il
faudrait demander et l'on demande à Dieu de faire des choses qu'Il
attend justement de nous. Il est difficile de vouloir coûte que
coûte actualiser sans tomber dans la moralisation. Je préfère la
litanie de la paix du rite byzantin, même en contexte de rite
romain. Lorsque j'évoque l'intercession, je veux dire la
supplication ardente devant la face de Dieu. Comme disait sainte
Thérèse de Jésus: le monde est en feu, ce n'est pas le moment d'importuner le Seigneur avec des bagatelles.
Antoine de Saint-Exupéry – « Le petit prince et le renard »
RépondreSupprimer« Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction »
La certitude du proche Avènement de Jésus-Christ est bien sûr la raison souveraine qui devrait susciter de « regarder ensemble dans la même direction » en oubliant tant de divisions qui de toute façon vont devoir disparaître.
C’est précisément parce que ces divisions deviennent inextricables et dégénèrent en apostasie que cet événement va surgir.
Mais il est évident qu’on ne veut pas le voir, le savoir et le croire.
C’est ainsi que, même sous les plus belles apparences de foi véritable, peut se dissimuler, comme en filigrane, un rejet de la réalité, un rejet de la vérité révélée, de la Révélation, un rejet de la foi véritable notamment par le rejet de la parole de Jésus-Christ en Matthieu 24:15-18 et Marc 13 :14-16.
L’abstraction délibérée de la réalité propulse en dehors de la réalité et génère systématiquement l’illusion de la foi qui annihile la capacité d’agir et de réagir correctement.