Liturgie et Tradition
La
liturgie de l’Eglise rend présent le mystère du Christ, le seul
Sauveur, et surtout le mystère de sa mort et de sa résurrection. La
liturgie en même temps nous fait participer à la vie du Ressuscité
et ainsi par le don de l’Esprit nous fait réellement enfants du
Père. Dans l’action liturgique, nous sommes vraiment chez nous
dans la maison de Dieu. Le Ciel est rendu présent sur la terre.
La
Tradition nous transmet la foi de l'Église, et cette foi nous
procure la vie éternelle. Il ne faut donc jamais séparer, en
particulier dans le domaine de la catéchèse, la connaissance de
Dieu, c'est-à-dire du mystère du Christ, de la vie surnaturelle que
nous commençons à posséder par la foi et qui est sans cesse
nourrie dans l’action liturgique.
Une
réflexion sur l’étymologie du terme Tradition vaut la
peine d’être esquissée ici. Le mot latin tradere signifie
livrer. C’est le verbe qu’on utilisera pour dire que le Seigneur
s’est livré pour notre salut. Cela signifie, ni plus ni moins, que
l’origine, la source de la Tradition, c’est en fin de compte le
mystère central de notre foi : l’acte par lequel le
Christ m’a aimé et s’est livré pour moi, dans le
mystère de sa Pâque, c’est-à-dire de sa mort et de sa
résurrection.
Les symboles qui sont utilisés dans la liturgie ont de près ou de
loin un lien avec le mystère central de notre foi et avec la vie
surnaturelle qui nous est donnée par la foi et la participation
sacramentelle au mystère de la mort et de la résurrection du
Sauveur. Il y a deux exemples particulièrement significatifs, dont
je voudrais parler dans un premier temps, du fait que ce sont deux
symboles liturgiques majeurs, mais qui débordent la liturgie, du
fait qu’ils sont entrés dans la vie spirituelle quotidienne de
tout chrétien : le signe de la croix et l’eau bénite. Je
parlerai ensuite de ce symbolisme riche et récapitulatif du mystère
qu’est le plan classique d’une église.
Le
signe de croix
Dans la liturgie selon Vatican II, il y a davantage de sobriété
qu’auparavant dans l’utilisation du signe de croix. Un seul
exemple : dans l’épiclèse pré-consécratoire, le célébrant
fait un signe de croix sur les espèces du pain et du vin, alors que
dans la messe tridentine, il en faisait cinq. Mais il faut
interpréter cette réduction comme une mise en valeur. D’autre
part, la liturgie actuelle a remis en valeur le geste évangélique
de l’imposition des mains, qui remplace parfois le signe de croix
utilisé auparavant : par exemple, dans l’exorcisme
pré-baptismal, ou dans certains rites de bénédiction. Le signe de
la croix demeure principalement dans la bénédiction des personnes
ou des objets de piété, mais dans le cas de bénédiction de
réalités sur lesquelles l’homme a moins prise, on privilégie
l’élévation des mains : bénédiction de la mer par exemple.
Mais cela ne change rien à la réalité profonde, du fait que Jésus
dans son ministère a largement pratiqué l’imposition des mains
(exorcismes, guérisons) et a demandé à ses disciples d’en faire
autant. Jésus est sauveur déjà dans le mystère de son
incarnation, son corps (même la frange de son vêtement) est le
canal de la grâce, et rien dans sa vie humaine n’est à détacher
du mystère de sa mort et de sa résurrection, point culminant de sa
mission filiale de salut pour le monde.
Le
signe de croix nous transmet et nous rappelle une réalité des plus
fondamentales : nous sommes chrétiens parce que nous avons la
vie du Christ en nous par la grâce. Et c’est de la croix qu’a
jailli notre résurrection. Par la Croix, la vie et la joie sont
entrées dans le monde. Dans la vie quotidienne du chrétien, faire
dévotement et consciemment le signe de la croix nous apporte la
grâce du Christ. Le signe de la croix fortifie notre foi, notre
espérance et notre charité. Il éloigne de nous la tentation. Dans
l’épreuve et dans l’aridité spirituelle, quand par exemple la
prière nous semble impossible humainement à cause de la fatigue et
de la faiblesse, faire le signe de croix est un acte de foi et une
prière. Ce simple parfois remet tout en ordre et nous fait
reprendre le chemin de la prière profonde et d’une union plus
forte avec le Christ. On se rappellera ici non sans émotion le signe
de croix d’Ingrid Bétancourt, juste après sa libération :
c’était une formidable action de grâce et un hommage à Dieu,
fait en union avec la Sainte Vierge, et qui d’une certaine manière
exprimait l’âme de celle qui se signait ainsi à la face du monde.
Quel signe pour notre temps !
En
effet ce signe de la croix contient vraiment toute la tradition de
l’Eglise : le mystère du salut par la Croix et le mystère de
la Sainte Trinité. Il est le signe par excellence du chrétien. En
le faisant au début de toute prière, si nous le faisons avec une
vraie conscience spirituelle, nous sommes d’emblée plongés en
Dieu : enfants du Père, membres du Christ, hôtes de l’Esprit.
On
raconte je crois du bienheureux dom Marmion, abbé de Maredsous,
que lorsqu’il entrait à l’église pour la prière, il plongeait
sa main dans le bénitier, faisait un très large signe de croix,
avec une profonde conscience spirituelle du geste ainsi accompli, et
secouant énergiquement la main, jetait à terre la dernière goutte
d’eau bénite. Il montrait ainsi qu’en entrant dans la maison du
Père, il se plongeait filialement dans la totalité du mystère et
de la vie, qu’il entrait dans le monde de Dieu et de l’éternité…
et laissait tomber tout le reste, tout ce qui appartient à la
caducité de notre existence d’ici-bas.
L’eau bénite
Venons-en maintenant au symbolisme si riche de l’eau ; que ce
soit l’eau baptismale ou l’eau bénite. Les deux du reste sont
liés, car prendre l’eau bénite nous rappelle en premier lieu
notre baptême. D’après la Tradition, lors de son baptême au
Jourdain, le Christ a sanctifié les eaux. L’eau est à la fois
symbole de vie et symbole de mort. Le déluge est la destruction d’un
monde de péché et la venue d’un monde nouveau, avec lequel Dieu
fait alliance. La mer rouge engloutit l’oppresseur mais le peuple
de Dieu y trouve la libération de la servitude ancienne. En outre,
comme on peut le voir dans les icônes orientales du baptême au
Jourdain, les eaux étaient considérées comme le repaire du démon.
Le baptême par immersion symbolise la mort au péché et la
naissance à la vie surnaturelle du chrétien, qui participe ainsi
sacramentellement à la mort et à la résurrection de son Seigneur.
La
descente du Christ dans les eaux du Jourdain et sa remontée
préfigure son ensevelissement dans la mort, sa descente aux enfers
et sa résurrection. Le Fils s’humilie dans l’obéissance au Père
et cette humiliation culminera dans le don total de la mort sur la
Croix et la mise au tombeau. Mais lorsqu’il remonte des eaux du
Jourdain, les cieux s’ouvrent et la voix du Père se fait
entendre : Celui-ci est mon Fils bien-aimé.
L’eau bénite nous rappelle donc que par le Christ, nous sommes
nous aussi enfants bien-aimés du Père, que nous sommes des vivants.
Par l’eau bénite, la vie du ressuscité se répand comme la rosée
sur toutes les réalités qui nous entourent : les lieux où
nous vivons, les objets qui nous aident à entrer par la prière dans
l’intimité divine (chapelet, crucifix…) ou qui nous
permettent de nous mettre à son service pour la mission (voiture),
et aussi les animaux. Tout le cosmos est imprégné de la vie
nouvelle, et même le monde invisible, comme en témoigne la coutume
de jeter de l’eau bénite aux âmes du purgatoire.
Le
grand mystère de la descente dans les eaux du Christ, préfiguration
de sa Pâque et de notre baptême, c’est le salut de la totalité
de l’univers créé, marqué certes par le péché, mais qui gémit
dans l’attente de la libération définitive.
L’église, symbole de l’histoire du salut et de la totalité
du mystère
Une église représente dans sa structure spatiale une multitude de
choses. Limitons-nous à quelques points.
Il
y a d’abord la séparation entre le sanctuaire et la nef. Il s’agit
parfois seulement de trois marches qui font que le sanctuaire est
surélevé par rapport à la nef. La nef représente notre situation
présente de pèlerins en route vers les réalités dernières. Nous
ne sommes pas encore au but, nous sommes encore dans le régime de la
foi et de l’espérance. Face à nous, en principe du côté de
l’orient, lieu où la Bible et la Tradition ancienne plaçait
l’Eden, se trouve le sanctuaire, lieu de la présence du Christ,
image du sanctuaire céleste, où célèbre le prêtre véritable,
entouré des anges et des saints, le Christ, dont le prêtre de la
terre n’est en somme que l’icône. La célébration nous apparaît
ainsi comme un dialogue entre le Christ, qui nous précède dans le
Ciel, où il nous prépare notre place, et son épouse qui est encore
sur la terre, en route vers l’accomplissement final, où Dieu sera
tout en tous. On pourrait aussi signaler ici qu’il existe des
églises du moyen âge, avec transept croisant la nef, et un
sanctuaire légèrement désaxé, par rapport à la nef. Le bâtiment
dans ce cas représente le Christ en croix, inclinant la tête pour
remettre son esprit. Bel exemple de plus pour montrer que le
sanctuaire représente le Christ principe et chef, tête de son corps
qui est l’Eglise, vivifiée par l’Esprit Saint et par les
sacrements qui découlent du côté transpercé.
L’antique tradition de prier, tourné vers l’orient, conservée
si l’église est orientée, c’est-à-dire tournée vers
l’orient, est riche de signification. Le soleil se levant à
l’orient symbolise le Christ qui ressuscite, qui reviendra vers
nous à la fin des temps, et qui revient déjà vers nous en chaque
célébration eucharistique. Dans la liturgie traditionnelle, le
célébrant est comme l’assemblée face au Christ qui revient. On
peut dire aussi que le célébrant représente le Christ, tête de
l’Eglise, médiateur entre Dieu et les hommes, et qui fait monter
vers le Père l’action de grâce de tout son corps mystique,
l’Eglise.
Par contre le mode actuel de la célébration place le célébrant
face à l’assemblée. Cela met en valeur un autre symbolisme :
le Christ miséricordieux regarde avec amour son corps mystique et
lui offre son pardon, sa grâce et son amour. Nous voyons ainsi que
quelles que soient les diverses formes que peut prendre la liturgie,
il y a toujours quelque chose du mystère qui est mis en valeur.
Conclusion
Il
serait profitable que dans la catéchèse et la prédication, on
explique de temps en temps les symboles liturgiques. Cela parle au
sens et au cœur, à la totalité de l’être humain, régénéré
dans le Christ. Tout le monde les comprend facilement et la vie de
foi deviendra ainsi plus consciente et plus vivante et illuminera le
reste de l’existence.
Père
Simon, OSB
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