jeudi 18 août 2016

La dimension eschatologique de la prière et de la liturgie, article paru dans la revue Radouga



Le Christ retirant Adam et Ève des enfers
 Maintenant et à l’heure de la mort

Notre vie chrétienne est centrée à la fois sur un présent et sur un avenir. Dans cette prière si familière au peuple chrétien qu’est l’Ave Maria, nous demandons à la sainte Vierge de prier pour nous maintenant et à l’heure de notre mort. Cette formulation si simple manifeste donc qu’il y a deux moments pour lesquels il nous faut prier : le moment présent et celui du passage de la mort et de notre entrée dans l’éternité. Nous allons dans ce petit article nous concentrer sur ce moment de la mort, si capital pour notre destinée éternelle. La vie chrétienne est une attente du retour du Christ et c’est dans le passage de la mort que nous rencontrerons en pleine lumière le Christ, qui viendra à nous pour nous proposer un salut définitif : la vie éternelle. Dans chaque eucharistie, nous proclamons que nous attendons son retour dans la gloire. Sa venue sacramentelle au moment de la consécration nous renvoie à sa venue à la fin des temps, quand il viendra pour consommer son œuvre.


Le passage de la mort

Les expériences de NDE nous révèlent que la mort est un véritable passage. Nous quittons ce monde qui nous est familier pour nous trouver dans une toute autre dimension. Cela se passe plus ou moins bien car certains sont tellement attachés à leur vie terrestre qu’ils ne veulent pas la quitter si facilement que cela. D’autre part, le souvenir de nos fautes peut engendrer en nous la peur de rencontrer le Christ, en nous faisant voir en lui le juge sévère, et en nous faisant oublier le sauveur miséricordieux qu’il est tout autant. Cependant nous finissons par nous trouver face à lui. Il nous apparaît avec son humanité, à la fois glorieuse et gardant les traces de sa passion, comme il est apparu à Thomas, huit jours après Pâque. Il nous révèle son amour infini, face auquel nous demeurons libres de dire oui ou non. Dans la lumière de son amour nous revoyons avec lui notre vie et en toute connaissance nous choisissons sa miséricorde ou nous la refusons. Ce choix, à la différence de nos choix terrestres, est parfaitement lucide et il nous fixe pour l’éternité. Il y a donc dans le passage de la mort deux grandes vérités : la miséricorde de Dieu et la liberté de l’homme. On comprend dès lors à quel point il est important de nous préparer à la mort et de garder tous les jours la mémoire de notre mort. La liturgie, en particulier celle de l’avent, est là pour nous aider à attendre le retour du Seigneur et à nous y préparer par une vie qui nous oriente vers la lumière et vers l’amour.

L’avent, temps de l’espérance chrétienne

L’avent est le temps de l’attente. Dans les trois premières semaines, il nous tourne vers le retour du Seigneur dans la gloire. Et dans les derniers jours avant Noël, nous sommes orientés vers le mystère de sa première venue, le mystère de son incarnation. Les deux éléments sont repris dans la première préface de l’avent : Il est déjà venu, en prenant la condition des hommes, pour accomplir l’éternel dessein de ton amour et nous ouvrir le chemin du salut ; il viendra de nouveau, revêtu de sa gloire, afin que nous possédions en pleine lumière les biens que tu nous as promis et que nous attendons en veillant dans la foi. Nous sommes donc invités à une attente joyeuse et à vivre dans la foi, qui consiste à relativiser les choses d’ici-bas et à regarder vers notre destinée ultime, dans l’au-delà de cette vie.

La rencontre du Seigneur

L’oraison de la messe du premier dimanche de l’avent nous pousse à voir dans la mort une rencontre avec le Christ, dont nos eucharisties sont comme un avant-goût, et à mener une vie conforme à la volonté de Dieu : Donne à tes fidèles, Dieu tout-puissant, d’aller avec courage sur les chemins de la justice à la rencontre du Seigneur, pour qu’ils soient appelés lors du jugement, à entrer en possession du Royaume des cieux. Pour cela il faut que nos cœurs soient prêts, c'est-à-dire éveillés à la dimension eschatologique de notre vie chrétienne : Apprête nos cœurs, Dieu très bon, par la puissance de ta grâce… (mercredi 1). Il nous faut aussi prendre conscience que Dieu seul peut nous sauver : dans le péril où nous mettent nos péchés, nous ne pouvons obtenir que de toi la délivrance et le salut (vendredi 1). Une autre chose essentielle est le fait que notre vie ici-bas prépare notre éternité. Comme le dit le proverbe, l’arbre tombe du côté où il penche. Nos choix de chaque jour préparent notre grande option finale que nous ferons dans le passage de la mort. Qui choisit habituellement la voie de l’orgueil ou de l’égoïsme risque fort d’être dans les mêmes dispositions au moment de la mort. Il lui sera difficile de se convertir au dernier moment. Nous tissons au cours de cette vie l’amour dont nous serons revêtus dans l’éternité. C’est pourquoi la prière après la communion du premier dimanche de l’avent nous fait dire : Fais fructifier en nous, Seigneur, l’eucharistie qui nous a rassemblés : c’est par elle que tu formes dès maintenant à travers la vie de ce monde, l’amour dont nous t’aimerons éternellement.

Les soucis de la vie présente

Le Seigneur, dans un de ses enseignements sur l’eschatologie, nous met en garde et nous invite à la vigilance et à la prière incessante : Prenez garde, que vos cœurs ne s’appesantissent dans la débauche, l’ivrognerie ou les soucis de la vie et que ce jour (c'est-à-dire celui de la mort et du jugement) ne survienne soudain sur vous comme un filet. Car il viendra sur tous ceux qui se trouvent sur la face de la terre entière. Veillez en tout temps en priant, afin de pouvoir échapper à tout cela, et vous tenir en présence du Fils de l’homme (Luc, XXI, 34-36). L’oraison du deuxième dimanche y fait écho : Seigneur tout-puissant et miséricordieux, ne laisse pas le souci de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de ton Fils ; mais éveille en nous cette intelligence du cœur qui nous prépare à l’accueillir et nous fait entrer dans sa propre vie. A propos du précepte de la prière incessante, Origène nous dit que celui-là observe le précepte du Seigneur qui prie plusieurs fois par jour et qui le reste du temps accomplit des œuvres bonnes. Il nous faut donc devenir des êtres de prière, c'est-à-dire vivre sans cesse en présence de Dieu. La pratique de l’oraison est la meilleure préparation à la rencontre ultime avec le Seigneur, car elle nous conduit toujours à mener une vie de charité. Saint Alphonse de Liguori résume cela en une formule célèbre : Qui prie se sauve, qui ne prie pas se damne.

Avoir un cœur d’enfant

Jésus a dit : Laissez venir à moi les petits enfants, car le Royaume des cieux appartient à ceux qui leur ressemblent (Matthieu, XIX, 14). Si nous acquérons ou retrouvons un cœur d’enfant, c’est avec joie que nous irons à la rencontre du Christ. Les enfants étaient en effet attirés irrésistiblement par la bonté et la douceur de son cœur, manifestation et révélation de l’amour du Père. Ils comprenaient l’essentiel tout de suite et c’est pourquoi le Seigneur nous les donne en exemple. La spiritualité de sainte Thérèse de Lisieux nous aidera dans cette voie et nous délivrera de la peur de Dieu, qui est en nous une suite du péché des origines. Au petit Marcel Van, devenu un frère rédemptoriste et mort dans un camp de rééducation du Nord Vietnam, le Seigneur Jésus avait dit une fois : Je ne comprends pas pourquoi bon nombre d’âmes ont ainsi peur de moi. Sainte Thérèse, sa sœur spirituelle lui avait déjà dit lorsque il était un enfant : N’aie jamais peur de Dieu, il ne sait qu’aimer et désirer être aimé.  En nous préparant à la fête de Noël, grande manifestation de l’enfance éternelle de Dieu, comme l’avait si bien perçu le poète Paul Claudel, lors de sa conversion à Notre-Dame de Paris lors des vêpres de la Nativité, l’avent est un temps idéal pour retrouver cet esprit d’enfance, qui nous prépare excellemment à une rencontre pleine de confiance avec l’amour et la miséricorde de l’Enfant Jésus.


La confiance

Marcel Van
Citons pour poursuivre l’oraison du jeudi de la troisième semaine : Seigneur, nous sommes des serviteurs indignes de toi, et nous sentons avec tristesse tout le mal qui fausse notre vie ; donne-nous cependant de trouver notre joie dans la naissance de ton Fils car il vient pour nous sauver. Nous avons ici l’expression des deux jambes sur lesquelles nous devons marcher pour aller vers le Seigneur : l’humilité et la confiance. Bien conscients de notre faiblesse et de nos fautes, nous gardons néanmoins une confiance totale en sa miséricorde. Sur tout cela le message de la petite Thérèse est toujours d’actualité. J’aimerais encore citer une parole de Jésus à Marcel Van : Il suffit d’un simple regard de confiance jeté sur moi pour arracher les âmes pécheresses des griffes du démon. Même si une âme se trouvait déjà à la porte de l’enfer, attendant son dernier soupir pour y tomber, si dans ce dernier soupir il y a le moindre degré de confiance en mon Amour infini, cela sera encore suffisant pour que mon Amour attire cette âme dans les bras de la Trinité ; c’est pourquoi je dis qu’il peut être très facile pour les hommes de monter au ciel, tandis qu’il peut être très difficile de tomber en enfer, car jamais l’Amour ne peut souffrir qu’une âme se perde si facilement. Mais Jésus ajoute que ces paroles ne doivent pas être manifestées à toutes les âmes indistinctement, car certains pourraient trouver prétexte à s’endurcir dans le mal. La vraie attitude chrétienne, spécialement dans le temps de l’avent, est donc la suivante : lutter de toutes ces forces contre le mal qui est en nous et lorsque nous sommes malheureusement tombé, ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu, comme le dit saint Benoît dans sa règle. C’est pourquoi beaucoup d’oraisons de l’avent nous font prier pour être dégagés de l’engrenage du péché, telle celle du mardi de la troisième semaine : Dieu qui a fait de nous une créature nouvelle dans ton Fils, regarde avec bonté l’œuvre de ta miséricorde, et tandis que nous attendons sa venue, préserve-nous de toute déchéance.

Conclusion

Les textes liturgiques de l’avent nous éduquent à la vraie spiritualité face à la question du passage de la mort et à notre rencontre avec le Seigneur de gloire. Puissent-ils nous donner le sens véritable des choses de ce monde et nous conduire aux joies de l’éternité par l’humilité et la confiance de ceux qui se savent enfants aimés de Dieu.

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