Frères
et sœurs, nous célébrons aujourd'hui la Croix glorieuse.
Remarquons
tout d'abord le lien que la tradition liturgique maintient entre deux
mystères inséparables : celui de la résurrection et celui de
la croix. On ne peut célébrer l'un sans l'autre. D'une part, il
faut ne jamais oublier la réalité des souffrances et de la mort de
Jésus, d'autre part, il faut confesser que par sa mort Jésus a
sauvé le monde et a ouvert le chemin de la résurrection. La Croix
en orient est toujours la Croix glorieuse, comme le sont aussi chez
nous la Croix de saint François ou le vieux Bon Dieu de Tancrémont,
que nous pouvons admirer dans la chapelle du saint Sacrement de
l'église latine de notre monastère. En même temps lorsque nous
sommes dans la joie de la résurrection, nous ne devons pas oublier
la Passion, comme du reste toute la réalité de nos tragédies
humaines.
Un
très beau chant byzantin synthétise à merveille cette double
fidélité. Chaque samedi soir aux matines, on lit un évangile de la
résurrection, et à la fin de cette proclamation de la résurrection,
le chœur chante : Ayant contemplé la résurrection du
Christ, prosternons-nous devant notre saint Seigneur Jésus : il
est le seul sans péché. O Christ nous nous prosternons devant ta
croix et nous chantons et glorifions ta sainte résurrection, car tu
es notre Dieu, nous n'en connaissons nul autre que toi : ton
nom, nous le proclamons ; venez, tous les fidèles,
prosternons-nous devant la sainte résurrection du Christ ;
voici que par la croix, la joie a pénétré dans le monde entier ;
sans cesse bénissons le Seigneur et chantons sa résurrection car en
souffrant pour nous sur la croix, il a détruit la mort par sa mort.
Faisons maintenant un peu
l'histoire de la dévotion à la Sainte Croix. Au début du IVe
siècle, l’Église depuis peu avait trouvé sa liberté grâce à
l'empereur Constantin avec l'édit de Milan. On peut penser qu'au
temps des persécutions, l’Église n'avait pas besoin d'un culte
public et solennel en l'honneur de la croix, car par le martyre, elle
participait à la croix du Christ. Mais avec la liberté de culte, un
danger d'affadissement menaçait le christianisme. La providence
voulut sans doute y répondre en favorisant une nouvelle dévotion :
celle de la sainte Croix. Dans un contexte inévitable de
relâchement, le culte de la Croix est là pour nous rappeler deux
choses essentielles. D'abord que c'est par la Croix que nous avons
été sauvés. Ensuite que la vie chrétienne est une vie à la suite
du Christ crucifié et qu'elle implique que nous devions nous aussi
mourir avec le Christ et pour le Christ, éventuellement par le
martyre, comme le font encore héroïquement de nos jours nos frères
d'orient, affronté à l'islamisme radical.
Mais si le martyre demeure
pour nous une réalité peu probable, la croix par contre est plantée
dans nos vies, si nous sommes vraiment chrétiens. La souffrance fait
partie de notre expérience humaine. En outre, un vrai chrétien se
doit sans cesse, pour être fidèle, de faire de nombreux sacrifices,
sacrifices qu'il offre au bon Dieu, en union avec le grand sacrifice
qu'a accompli Jésus, et qui nous est sans cesse rendu présent dans
l'eucharistie que nous célébrons en mémoire de lui. En fait bien
souvent, une croix acceptée est moins lourde qu'une croix refusée.
Le sacrifice authentique est un acte d'amour, qu'on offre dans la
joie et la confiance.
Un cardinal guinéen, qui
occupe un poste important à Rome, le cardinal Sarah, disait
récemment à la télévision de belles paroles, alors qu'il évoquait
un souvenir de son enfance, la grande croix plantée par les
missionnaires au centre de son village Le cardinal ajoutait ceci :
la Croix est le symbole de l'amour de Dieu pour nous et le symbole de
notre souffrance, mais souffrance acceptée et vécue dans l'amour.
Sur la Croix, Jésus a donné
l'exemple de l'amour, vainqueur du mal. Il a aimé ceux qui le
crucifiaient. Il a intercédé pour eux. Il leur a pardonné et même
il les a excusés : Père, pardonne-leur, car ils ne savent
pas ce qu'ils font. Pour nous, vivre le mystère de la Croix,
c'est pratiquer la même bienveillance universelle, envers tous ;
ne plus voir le mal chez l'autre, mais seulement ce qui est positif.
En posant ce regard universel de bienveillance, nous devenons tout à
fait semblables à Jésus sur la Croix. Dans le livre d'Habacuc, le
prophète s'adresse à Dieu, par une parole mystérieuse, que l'on
traduit ainsi : Tu as les yeux trop purs pour souffrir le
mal. Mais certains traducteurs ont une formule plus audacieuse :
Tu as les yeux trop purs pour voir le mal. Cette parole, le
Christ sur la Croix l'a réalisée à la perfection, en nous révélant
ainsi le regard d'un Dieu qui n'impute pas le mal à son peuple, qui
ne voue pas son peuple au mal. Dieu ne voit que le bien dans l'homme,
comme au jour de la création, lorsque Dieu vit que tout était bon.
Ainsi la croix, mystère de souffrance, est plus encore un mystère
de victoire et de vie.
Frères et sœurs, je vous
souhaite de contempler toujours le mystère de la Croix, comme un
mystère de salut, de lumière et d'amour, et, pour le dire en un
seul mot, d'aimer et de vénérer la précieuse et vivifiante Croix.
Amen
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