vendredi 13 juin 2025

Homélie pour la Saint Antoine, prêchée dans sa chapelle à Chevetogne, le 13 juin 2025

 


« L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. » (Luc 4,18)

Frères et sœurs bien-aimés,

Aujourd’hui, l’Église célèbre avec joie saint Antoine de Padoue, un des saints les plus populaires et aimés du peuple chrétien. Et ce n’est pas sans raison. Antoine attire par sa douceur, sa proximité, et surtout par sa parole : une parole claire, lumineuse, enracinée dans la vérité de l’Évangile. Il est un véritable témoin de l’action du Saint-Esprit dans le cœur de ceux qui se laissent transformer.

1. Un homme saisi par l’Esprit

Antoine n’était pas seulement un prédicateur habile. Il était un homme rempli de l’Esprit de Dieu. Comme Jésus dans l’Évangile que nous venons d’entendre, Antoine pouvait dire : « L’Esprit du Seigneur est sur moi… » C’est l’Esprit Saint qui l’a poussé à quitter le confort de sa communauté d’origine pour suivre l’appel missionnaire, jusqu’à l’Italie, jusqu’à l’âme des foules qu’il rencontrait.

Sa parole n’était pas la sienne : elle venait d’en haut. C’est pour cela qu’elle touchait les cœurs, même les plus endurcis. Là où certains voyaient des gens simples, sans instruction, lui voyait des frères et sœurs assoiffés de la vérité. Et il savait que le vrai prédicateur ne parle pas pour briller, mais pour édifier.

mardi 10 juin 2025

La Sainte Trinité

 Homélie du Père Ugo Zanetti pour la Sainte Trinité




Selon la tradition byzantine, le jour de la Pentecôte, où nous commémorons la descente du Saint Esprit sur les Apôtres réunis au Cénacle, est aussi celui où l’on célèbre la Trinité (ce que l’Église d’Occident fait le dimanche suivant). En effet, avec la venue du Saint Esprit, la Révélation est complète : Jésus, le Fils unique du Père, nous a fait connaître ce Père qui est totalement invisible, et l’Esprit Saint envoyé par Jésus sur ses Apôtres, donc en fait sur l’Église tout entière, achève pour nous, êtres humains, la révélation de Dieu.

Mais qu’est-ce que la Trinité ? À nos yeux, cela semble être soit une absurdité, car nous savons bien que 3 et 1 sont différents, soit un blasphème contre l’unicité de Dieu — ce que les Juifs et les Musulmans reprochent justement au Chrétiens, « d’adorer trois dieux », disent-ils. Mais cela montre tout simplement que ceux qui nous font ces reproches prennent les mots comme s’il s’agissait de choses terrestres. Pour éviter ce genre d’interprétation déformée, les Chrétiens arabes disent le plus souvent : « Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Dieu unique ».

Oui, la Trinité est un « mystère », ce qui veut dire que nous ne pouvons pas la comprendre parce que nous n’avons pas l’expérience de ce dont il s’agit, nous ne pouvons que l’évoquer par des images et des comparaisons. Notre intelligence humaine ne peut pas atteindre ce dont elle n’a pas l’expérience. Mais nous pouvons essayer d’approcher, par analogie, ce que les mots veulent dire ; le reste sera laissé à la prière personnelle de chacun d’entre nous.

Et pour commencer, rendons-nous compte que nous ne pouvons pas davantage comprendre vraiment le mot « Dieu ». En général, on le définit plus ou moins négativement : Dieu est celui qui possède toutes les qualités et n’a aucune des limites qui sont les nôtres, à commencer par le fait d’être lié à l’espace-temps. Dieu n’a ni matière ni temps, nous disons qu’il « un pur esprit » et qu’il est « éternel », mais ces mots mêmes peuvent nous piéger, car pour nous « un esprit n’a ni chair ni os » (cf. Lc 24,39) ; toutefois, cela reste une abstraction dont nous n’avons pas d’idée concrète : qui a jamais vu un esprit ? Et quand nous parlons de l’éternité, nous pensons à ce qui n’a ni commencement ni fin, mais notre expérience terrestre ne nous permet pas de savoir au juste ce que cela signifie, car d’une part notre intelligence ne peut pas penser ce qui n’a pas de commencement, et d’autre part « n’avoir pas de fin » signifie pour nous un prolongement indéfini. Cela ne correspond pas à l’éternité de Dieu.

C’est justement là qu’intervient la Révélation : Dieu s’est fait connaître parce qu’il l’a voulu ainsi, mais en même temps il ne pouvait se faire connaître à nous qu’en employant des images qui nous paraissent familières. Ainsi, quand Dieu se révèle à Moïse dans le buisson ardent, il dit « Je suis celui qui suis » (Ex 3,14). Nous pouvons comprendre que Dieu « est », mais en même temps la portée exacte de ces mots reste pour nous mystérieuse, car dans notre expérience « être » signifie « être dans un temps et dans un lieu ». Et quand Jésus répond aux Juifs « Avant qu’Abraham fût, je suis » (Jn 8,58), il transpose en paroles humaines, temporelles, une réalité qui ne peut qu’échapper à notre expérience, celle de l’éternité.

Il en va de même de la Révélation de la Trinité. Lors du baptême par Jean-Baptiste, le Père dit à Jésus : « Tu es mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute ma complaisance » (Lc 3,22), et de son côté Jésus se présente comme le Fils du Père (« mon Père et moi sommes un » Jn 10,30 — « afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi » Jn 17,21), mais il est bien clair que les mots de « Père » et « Fils » n’ont pas ici le sens que nous leur donnons dans la conversation courante : le Père « engendre éternellement » le Fils sans qu’il y ait de mère ni de naissance, et bien sûr ni temps ni matière ! De même, si l’Esprit Saint se manifeste sous forme d’une colombe (Lc 3,22) ou de langues de feu (Ac 2,3), il est tout aussi clair que l’Esprit est totalement immatériel, comme l’évoque justement le nom qu’on lui donne, celui d’Esprit, en grec Pneuma, un mot qui signifie tout à la fois l’esprit, le souffle et le vent, comme Jésus l’a évoqué dans son entretien avec Nicodème (« Le vent souffle où il veut; et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va » Jn 3,8) — et si le vent terrestre est néanmoins bien matériel, comme nous l’apprennent les météorologues, l’Esprit saint, lui, est absolument insaisissable, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas, mais qu’il existe de manière absolue, en lui-même et par lui-même, indépendamment du temps et de la matière.

Alors pourquoi Jésus a-t-il choisi ces mots pour nous révéler qui est Dieu ? Parce qu’il ne pouvait pas faire autrement que d’employer des images qui évoqueraient notre expérience humaine, et que nous pourrions, jusqu’à un certain point, comprendre par analogie. Nous savons ce qu’est une famille, que sur terre l’on ne peut être père ou mère que s’il y a des enfants. Autrement dit, les membres d’une famille sont ce qu’ils sont parce que les autres membres de la famille existent, ils sont inter-dépendants en tant que membres de cette famille, et en même temps chaque membre de la famille est une personne autonome, qui a son existence propre. Et cela nous dit quelque chose de Dieu : les trois Personnes de la sainte Trinité sont des personnes bien distinctes, mais en même temps elles sont inter-dépendantes : le Père n’est le Père que parce qu’il y a le Fils, et l’Esprit est l’esprit du Père et du Fils, mais en même temps — et contrairement à ce qui est le cas pour une famille humaine — cette inter-dépendance est en même temps une liberté absolue, dans une seule volonté : toutes les actions de Dieu sont l’oeuvre commune des trois Personnes, même si une seule d’entre elles l’exerce. Seule la deuxième Personne, le Fils, s’est incarnée et est devenue homme pour nous sauver, mais c’est Dieu en tant que tel, les trois Personnes de la Trinité, qui veut sauver l’humanité.

Qu’est-ce qui fait donc ce lien absolu entre les trois Personnes ? Comment sont-elles ainsi à la fois « un » et « trois » ? Dieu nous a donné la réponse dans l’Écriture : « Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16). Mais le mot « amour » est bien sûr à prendre ici dans son sens le plus fort possible, au sens absolu comme Dieu est absolu. Pour les hommes, l’expérience nous apprend, hélas, que l’amour peut être bien fragile, qu’il n’est jamais tout à fait libéré d’une recherche de soi, que le pur don de soi qu’il devrait être se heurte bien souvent à nos limites humaines. Pour Dieu, en revanche, l’amour répond à la définition qu’en a donnée Jésus : « Personne ne peut avoir un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13) — et c’est exactement ce que Jésus a fait. Et cette vérité ne vaut pas que pour Jésus : chaque Personne de la Trinité se donne totalement et sans aucune réserve pour les deux autres, et c’est bien cela qu’est Dieu : pur amour, don total et absolu (en fait l’exact contraire de ce que les êtres humains ont imaginé quand ils ont « créé leurs dieux », auxquels ils ont attribué une toute-puissance mise au service d’eux-mêmes : ce sont exactement là les « baals », les faux dieux que la Bible critique avec une telle force, ces idoles qui détournent l’homme de la vérité et l’amènent à adorer l’argent, la puissance et, en définitive, de n’être au service que de soi-même.Mais n’oublio

Mais n’oublions pas que nous sommes créés à l’image et la ressemblance de Dieu (Gen 1,26s) ! donc mieux comprendre, dans la mesure de nos moyens, qui est Dieu, nous permet de mieux comprendre qui nous sommes et comment donner sens à notre vie ! En nous commandant de nous aimer les uns les autres (Jn 13,34. 15,13. 15,17), Jésus nous révèle quel est le sens de notre vie, comment nous pouvons devenir pleinement ce que nous sommes. Si nous nous en écartons, nous faisons fausse route, comme « la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf » dans les fables de La Fontaine… et qui a éclaté !

Mais il y a plus encore dans les paroles de Jésus. Dimanche dernier, nous avons lu le passage que l’on appelle « la prière sacerdotale de Jésus », Jn 17,1-26. Jésus y demande explicitement au Père de nous donner la vie éternelle, et précise encore : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17,3). Autrement dit, pour nous les hommes qui sommes insérés dans l’espace et le temps, connaître Dieu, c’est entrer dans la vie éternelle. Et certes nous ne pouvons pas le faire d’un coup : c’est une démarche qui durera toute notre vie, et qui trouvera son aboutissement le jour de notre mort terrestre, ce jour où l’on pourra dire, comme Thérèse de l’Enfant-Jésus, « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie ». C’est ce à quoi Jésus nous appelle : nous approcher de plus en plus de Dieu pour mieux le connaître.

Nous avons dit qu’il n’est pas possible à l’être humain de connaître Dieu, de comprendre le mystère de la Trinité. C’est vrai aussi longtemps qu’il s’agit de connaître avec notre intelligence humaine, avec notre cerveau de chair. Mais nous pouvons le faire avec notre coeur ! C’est ce qu’ont fait tous les saints, et en particulier les mystiques qui ont parlé de la Trinité : il ne s’agit pas d’un raisonnement, mais d’une communion d’amour. Et à cela nous sommes tous appelés. Dans la mesure même où nous établirons un lien d’amour de plus en plus fort avec Dieu, par la prière et par toute notre manière de vivre, nous comprendrons de plus en plus ce qu’est Dieu, et nous mettrons aussi en pratique dans notre propre vie ce lien avec tous nos frères et soeurs humains, nous comprendrons de mieux en mieux ce qu’est l’unité des trois Personnes divines dans la totale distinction de ces personnes, comme Jésus l’a demandé au Père dans cette même « prière sacerdotale » : « afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, afin qu'ils soient, eux aussi, un en nous » Jn 17,21). À l’instar des Personnes divines à l’image desquelles nous sommes créés, nous serons de plus en plus unis tout en devenant chacun de plus en plus nous-même. Et lorsque l’heure sera venue pour nous, nous serons prêts, avec la grâce de Dieu et le salut que Jésus nous a donné, à entrer dans la communion éternelle des trois Personnes divines.

Que Dieu nous donne la grâce de réaliser chaque jour davantage cette communion, qui seule peut nous donner la vie en plénitude.